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d’une part, l’absence totale de critérium extérieur, et, de l’autre, le danger des expériences expliquent et justifient la réglementation en cette matière.

On cite l’exemple des États-Unis, où l’exercice de la médecine est libre. C’est là un fait qui se rattache à l’ensemble des mœurs et des institutions de ce pays, et qu’il ne faut pas séparer de cet ensemble. Les États-Unis ont été originairement et sont encore aujourd’hui un peuple de colons et de pionniers, un peuple dont la fonction propre a été le défrichement de l’Amérique du Nord. Une telle œuvre ne se fait pas sans audace et sans liberté. Lorsqu’un vaisseau plein de colons débarquait sur un sol vierge, on ne demandait pas qui avait un diplôme ; celui qui avait quelque aptitude médicale soignait les autres : ce n’était pas le moment d’être difficile. La société américaine, en s’avançant toujours de plus en plus vers les déserts de l’ouest, a du toujours conserver son caractère d’audace aventureuse : aussi, dans ce pays, tout est marqué au coin de la témérité. Tout y est plus audacieux, plus risqué ; l’individu y est plus abandonné à lui-même, habitude prise dans les déserts et les solitudes, où l’on n’a pas toujours à côté de soi une police pour vous protéger et vous surveiller ; de là l’ensemble des mœurs et des lois dans ce pays. Nos sénateurs sont-ils disposés à introduire en France la liberté américaine tout entière avec ses bons et ses mauvais côtés ? Nous ne le pensons pas : ce sont là des idées d’extrême gauche dont il n’est pas vraisemblable qu’ils soient très épris. Commencer par la liberté médicale, tout en prêchant la restauration du vieil ordre social, serait une singulière tactique. — Nous ne réclamons pas la liberté de la médecine, dira-t-on, — soit ; il faut donc des conditions : dès lors on conviendra que ces conditions doivent être des conditions et non pas des apparences, et nous arrivons ainsi à la seconde question, à savoir de quelle nature doivent être les conditions non-seulement pour la médecine, mais pour toute carrière protégée en général.


III

Dès que l’on accorde que l’accès des carrières doit être soumis à certaines conditions ou garanties, on accorde que ces garanties doivent avoir elles-mêmes leur garantie : autrement on n’aurait rien fait, et, sous prétexte de liberté des grades, on reviendrait à la liberté des carrières. Là est le nœud de la question.

Que signifie une condition exigée par l’état pour l’accès des carrières, si cette condition est vague, indéterminée, et si l’état