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juge, ce n’est pas l’état qui plaide. Quant à la capacité, elle est facilement appréciable. Chaque plaidoyer est un examen passé devant un jury des plus compétens, à savoir des juges et des plaideurs. Tout le monde sait qu’il ne faut pas beaucoup de plaidoyers pour être classé au palais ; l’opinion se fait très vite sur nos jeunes avocats. On comprendrait donc sans trop de difficultés que la profession d’avocat fût libre, sans aucune condition préventive, et d’un autre côté cependant cette absence totale de conditions de capacité n’aurait-elle pas pour conséquence un certain abaissement du niveau commun ? La facilité de gagner quelque argent, pourvu qu’on montrât immédiatement quelque aptitude aux affaires, quelque facilité de parole ferait bien vite négliger les fortes études : vous pourriez encore avoir des avocats habiles, vous n’auriez plus ce barreau savant et profond qui a été une des gloires de notre pays.

Quoi qu’il en soit, les doutes qui pourraient s’élever relativement au barreau ne s’appliquent en aucune manière à la médecine. Ici vous avez affaire à une profession qui exige une grande science, science que ne suppléent ni la routine ni le savoir-faire. Par exemple, comment suppléer à la connaissance de l’anatomie, à la connaissance de la matière médicale ? Ce qui est aléatoire en médecine, on le sait, c’est la thérapeutique : combien plus encore si elle est absolument ignorante ! On comprend le scepticisme un peu naïf qui consiste à dire que la médecine est toujours inutile, et qu’il faut laisser agir la nature ; mais souvent ceux qui sont si sceptiques à l’égard des médecins compétens sont d’une crédulité ridicule à l’égard des charlatans et des ignorans, et c’est là ce qui est dangereux. Le scepticisme médical, s’il devait avoir une sanction légale, conduirait à l’interdiction, non à la liberté de la médecine. Si les médecins, comme on dit, tuent leurs malades, comment donner ce droit de tuer à tout le monde ? On sent d’ailleurs combien il serait ridicule de résoudre une question pratique de cette importance avec les plaisanteries de Molière. Tout le monde reconnaîtra donc qu’une certaine capacité scientifique est de toute nécessité chez le médecin : c’est là que les conditions préventives sont particulièrement indiquées, car d’une part on ne peut pas s’en rapporter à l’expérience seule pour former un médecin, ici l’expérience se fait aux dépens d’autrui : c’est un experimentum in anima vili. De plus, la capacité médicale ne peut en aucune façon être appréciée extérieurement : le fait même de sauver ou de perdre ses malades n’a qu’une signification incertaine, car le médecin n’est pas responsable de la gravité des maladies. Il peut même arriver que le meilleur soit précisément celui qui a le plus de victimes dans sa clientèle, parce que tous viennent à lui. Ainsi,