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volupté. Toutefois Mme Bertaux a-t-elle bien dit ce qu’elle voulait dire ? Elle se piquait de nous faire connaître la Sara des Orientales,

Éveillée
Au moindre bruit de malheur,
Et rouge pour une mouche
Qui la touche,
Comme une grenade en fleur.


Cette belle fille aux formes molles, qui vient de sortir de l’eau et se sèche au soleil, a fait mieux que d’être touchée par une mouche ; un énorme moustique, lequel a bien deux pouces de long, est venu effrontément se poser sur son dos : il y a là de quoi faire tressaillir un colonel de hussards, et cependant, appuyée sur la main droite, elle ne fait de la main gauche qu’un geste incertain, elle tourne la tête et regarde l’ennemi, qu’elle n’aura pas la force de chasser. Cette Sara n’est pas de la race des éveillées ni des nerveuses ; rien ne frémit dans son corps, et nous prévoyons qu’elle gardera éternellement son moustique sur son dos. Il s’est trouvé que le modèle de Mme Bertaux était une lymphatique, et elle n’a pas su se délivrer du modèle.

M. Schœnewerk a su se délivrer du sien, il l’a fait manger par son sujet. La baigneuse qu’il a représentée sous ce titre l’Hésitation ne s’est pas encore baignée, et peut-être ne se baignera-t-elle pas. Elle s’appuie d’une main sur un tronc d’arbre où elle a suspendu sa chemise ; de son pied droit elle tâte l’eau, et elle la trouve un peu fraîche, comme le témoigne un orteil qui se rebrousse. Elle avance la tête pour observer le péril, et, par un mouvement instinctif, de sa main gauche elle couvre sa poitrine qui se creuse. M. Schœnewerk est l’un des premiers d’aujourd’hui dans l’art de modeler un beau corps, il a le secret des élégances et des grâces féminines. Son ciseau est aussi amoureux que pur et respecte le marbre en le caressant. On peut faire le tour de sa baigneuse hésitante, la contempler de tous les côtés ; cette poitrine infléchie, la courbe du dos, le mouvement des épaules, tout flatte le regard ; la souplesse des contours égale la séduction des lignes. Et avec quelle vigueur de résolution n’a-t-il pas su se faire obéir du marbre, le soumettre à son idée ! De l’orteil relevé jusqu’aux épaules et à la tête, on sent courir dans cette statue la sensation du froid, l’hésitation des nerfs et des muscles. On dira peut-être qu’un tel sujet manque de grandeur, qu’il est plus glorieux de faire exprimer au marbre des sentimens que des sensations. L’Évangile nous apprend qu’il y a plusieurs demeures dans la céleste maison. Avant tout, il