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Miroir, a exposé cette année Une jeune Fille entendant un premier chant d’amour. Elle penche la tête, et l’expression de sa figure est une trouvaille » Ce chant, qu’elle entend pour la première fois, la charme beaucoup, elle n’en perd pas une note. Son sourire exprime à la fois le ravissement, la surprise et le doute ; elle est incrédule à son plaisir ; elle ne sait ce qu’elle en doit penser, elle a l’air de se dire : Est-ce bien sérieux ? se moque-t-on de moi ? Ses deux mains, aux index relevés, commandent le silence, ses doigts écoutent ; mais pourquoi cette écouteuse est-elle si maigre ? pourquoi avoir donné à ce jeune corps une gracilité presque vermiculaire ? Si jeune qu’on soit, il n’est pas permis d’être aussi grêle que cela. Vous nous direz peut-être : Patience, elle n’est pas encore formée. Elle ne se formera jamais, elle est nouée. Sa poitrine, déplorablement étroite, ne pourra jamais contenir un cœur à deux ventricules et à deux oreillettes. On ne devine pas en elle un avenir de beauté, on peut même douter qu’elle dure longtemps. C’est un être étiolé ; elle n’entendra pas souvent le chant d’amour qui la charme.

Sans crainte de se tromper, on petit prédire de meilleures destinées à la Rose de mai que nous a montrée M. Mercié, le sein nu, la joue en fleur, le printemps sur les lèvres. Encore un peu de pluie, encore un peu de soleil, et sa beauté, qui vient d’éclore, s’épanouira dans sa gloire. Pourtant son sort nous intéresse moins que celui de cette Adolescence de quinze ans qu’un commençant, M. Albert Lefeuvre, nous a fait voir adossée contre un arbre, l’une de ses mains posée sur ses cheveux, l’autre délicatement infléchie et appuyée contre sa joue droite. Elle est encore dans l’ingrate saison, ses formes commencent à peine à s’accuser. Les curiosités, les étonnemens, les inquiétudes lui sont venus avant l’âge, et son regard interroge la vie comme un voyageur interroge son chemin. Elle ne la voit pas en beau, elle ne se fait pas d’illusions. Cette enfant a pâti ; mais il y a un charme intime dans sa grâce souffreteuse, et dans sa faiblesse il y a une force cachée. Elle a connu l’existence étroite et sombre, la misère, la faim, la soif, l’excès de travail ; elle ne laissera pas d’aller son chemin, et d’étape en étape elle fournira sa vie. L’Adolescence, de M. Albert Lefeuvre est une des œuvres les plus originales, les plus attachantes qu’on ait vues au Salon, et nous avons été heureux d’apprendre que l’auteur avait obtenu le prix de Florence. Il ira causer sur les bords de l’Arno avec Donatello et Luca della Robbia. Sa jeune science, déjà sûre d’elle-même, y perdra sa mélancolie, elle apprendra à sourire ; mais avant de partir pour l’Italie, elle doit nous promettre de garder son parfait naturel. Nous préférons sa tristesse à toutes les grâces étudiées, à tous les sourires appris.