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garçon couché, agaçant un moineau. M. Hoursolle a voulu démontrer, nous dit-il, que « cet âge est sans pitié. » Il a prouvé bien mieux encore que M. Hoursolle a les plus heureuses dispositions et qu’il sait rendre à merveille la grâce souple d’un corps d’enfant. Sans contredit, cette statue couchée était au Salon le chef-d’œuvre de la sculpture de genre.

Aucun des marbres ou des plâtres que nous venons de nommer n’a excité les empressemens, n’a obtenu le succès de curiosité, d’engouement et de vogue qui s’est fait autour d’un groupe intitulé Après la tempête. Dès l’ouverture du Salon, il avait attiré la foule, elle lui est demeurée fidèle jusqu’à la fin. Une vieille femme tient sur ses genoux un enfant mort ; Mlle Sarah Bernhardt a su faire de cette vieille femme un morceau de haut goût. Au milieu du jardin se trouvait un autre groupe dont le sujet est à peu près le même. C’est encore une mère dont le fils a péri dans une tempête. De sa main droite, elle soulève la tête du cadavre, sur laquelle ses regards sont attachés ; elle a posé sa main gauche sur un cœur qui ne bat plus, elle cherche à douter de son malheur. Cette mère est la sainte Vierge, ce mort est le Christ, ce groupe est une Pietà d’une remarquable exécution et qui mérite d’être admirée, sinon par l’originalité de la composition, du moins par la sincérité et la noblesse du sentiment, par le profond respect que l’artiste a témoigné à son sujet comme à son art. Cependant la foule n’a accordé à la Pietà de M. Sanson qu’une attention distraite, elle a réservé son enthousiasme pour le mets plus épicé et plus nouveau que lui servait Mlle Sarah Bernhardt. Rien n’est plus évident que le succès, et l’on a toujours raison de réussir. De l’audace, et encore de l’audace, disait Danton. M,, e Sarah Bernhardt a été aussi audacieuse que Danton, et, comme César, elle s’est écriée :

On sait ce que je puis, on verra ce que j’ose.


Le sujet qu’elle a choisi est absolument irréprochable. Rien n’est plus intéressant, même en sculpture, qu’une grand’mère dont le petit-fils s’est noyé et qui voudrait le rappeler à la vie. Le groupe est bien établi, l’exécution en est inégale ; quelques parties sont excellentes, d’autres beaucoup plus faibles ; le corps de l’enfant a été traité avec une justesse de sentiment et une science dont on s’est étonné. Que dirons-nous de la grand’mère ? Elle est laide à faire peur ; son visage émacié a perdu toutes ses chairs, et n’a plus que des rides et des tendons. Il y a de la férocité dans sa douleur ; la première fois que nous l’avons vue, nous l’avons prise pour une goule : elle contemple, la bouche ouverte, le cadavre qu’elle serre