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surtout de l’esprit français, le système gouvernemental qui produisait de pareils résultats était condamné dans son ensemble. On attaquait le mode de nomination des maires, et on le trouvait détestable, parce que les maires, entraînés dans un engrenage trop puissant, contribuaient parfois sans scrupules au succès des candidatures officielles. On allait tout d’un bond au système le plus opposé, on vantait les bienfaits de la décentralisation, on prônait l’élection des maires par les conseils municipaux. L’élection était devenue la panacée universelle, on voulait l’appliquer partout, jusque dans l’armée, jusque dans la magistrature. Il semblait qu’elle fût un préservatif assuré contre les abus, et l’opinion publique, sans adopter tous ces beaux projets, se sentait entraînée par un courant irrésistible vers les idées libérales[1], comme en 1852 elle s’était sentie entraînée vers un régime de résistance et de compression. C’était une autre exagération ; les esprits sages en sont bien revenus. Le principe de l’élection, nécessaire au sommet de nos institutions pour assurer le contrôle des élus du pays sur la marche des affaires publiques, ne doit pus être transporté dans une autre sphère. S’il est au contraire un principe incontestable et qui devrait être incontesté, c’est que tous ceux qui sont dépositaires de la force publique, à quelque degré que ce soit, ne doivent jamais être soumis à l’élection. Or le maire est un dépositaire de la force publique, et à ce titre il ne peut être nommé que par celui qui nomme ces dépositaires, c’est-à-dire par le chef de l’état ou par les ministres responsables qui le représentent.

On a prêté à un grand esprit, dont la France est encore en deuil, M. de Rémusat, cette maxime bien vraie : « Il y a diverses manières d’apprendre, il n’y en a qu’une de savoir. » Nous pourrions dire aussi : il y a diverses formes de gouvernement, il n’y a qu’une manière de gouverner. L’action d’un gouvernement n’est en effet vraiment féconde, vraiment bienfaisante, qu’autant qu’il est bien servi par ses agens à tous les degrés. Or de tous ces agens le plus utile, quoique le plus humble, le plus indispensable, le plus difficile à remplacer, si on ne l’avait pas, c’est assurément le maire des communes rurales. Si le préfet, si le procureur de la république, ne peuvent pas compter sur son concours absolu, la commune peut être livrée à tous les abus, abus de tous les instans, et bien autrement dommageables pour la chose publique que ceux qu’on voudrait prévenir en assurant l’indépendance des municipalités. Cette indépendance, nous l’avons déjà dit, c’est l’inaction du maire, c’est,

  1. C’est ce mouvement qui a présidé aux élections de 1869, conduit au pouvoir le ministère du 2 janvier, transformé la monarchie absolue de 1852 en monarchie parlementaire, et fait voter des lois hardies, comme celle du 22 juillet 1870, par le sénat conservateur.