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plus de dévoûment. La commune de Licata, vers la mi-août, donna 100 francs à la 9e compagnie du 57e. On alla porter cette bonne nouvelle aux soldats réunis dans le dortoir et on leur annonça que le partage se ferait le lendemain. — Capitaine, murmura une voix timide. — Que voulez-vous ? demanda l’officier. — Je voulais dire que… pour moi… pour nous… un sou de plus, un sou de moins n’est pas grand’chose,… et il vaudrait mieux… au moins je le crois… — Allez donc ! — Il y a des pauvres à Licata, — dit le brave homme. Les soldats de la compagnie applaudirent avec un murmure unanime d’approbation. — Écoutez, reprit le capitaine. Je veux que vous me disiez tous, bien sincèrement, ce que vous pensez. Je ne voudrais pas qu’un seul de vous, pour me faire plaisir, refusât l’offre du municipe. Je ne veux même pas que les plus nombreux imposent aux autres leur bonne action. Cet argent, vous ne l’avez pas volé ; vous avez travaillé, combattu, souffert, vous avez fait du bien ; il est juste que vous y gagniez quelque chose. Je vous dis même, tout net et franc, que, si vous acceptez, vous ferez bien. Courage donc, parlez à cœur déboutonné ! S’il est quelqu’un parmi vous qui ait besoin de sa part d’argent, qu’il me le dise sans crainte et sans honte, comme il le dirait à un ami. Je n’estimerai pas moins celui qui accepte que celui qui refuse. Je veux qu’on me parle sincèrement. y a-t-il quelqu’un qui veuille accepter ? — Personne, répondit toute la compagnie. — Pas même un ? — Pas même un ! — Braves garçons !

Tous ces faits et cent autres pareils se sont passés dans un pays où les soldats étaient suspects ; toutes les populations, ou presque toutes habituées par les anciens régimes à exécrer tout ce qui tient au gouvernement, excitées d’ailleurs par les partis hostiles, étaient convaincues que l’uniforme italien ne pouvait cacher qu’une légion d’empoisonneurs. A Catane, par exemple, les soldats n’osaient pas sortir seuls ; ils allaient par bandes, ou pour le moins trois à trois, prenaient toujours les rues principales, évitaient les ruelles et les quartiers écartés ; il leur était formellement défendu d’aller se promener hors de la ville. On les regardait partout de travers, les groupes se dispersaient à leur approche, les passans faisaient de longs détours pour les éviter, les habitans des maisons fermaient leurs portes et même leurs volets aussitôt qu’ils voyaient passer une capote grise. Les mères appelaient leurs enfans qui jouaient dans la rue, ou couraient les prendre et les emportaient dans leurs bras.

Un jour, un soldat d’ordonnance sortait d’un restaurant, tenant d’une main une fiole de pharmacie, et de l’autre les quatre coins d’une serviette qui contenait le maigre repas de son lieutenant. Il traversait une ruelle pauvrement habitée, et tout le monde le regardait attentivement. Quelques hommes cauteleux le suivaient à