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était pas moins de nature à satisfaire pleinement la compagnie. Rien dans l’acte auquel le tsar venait d’apposer sa signature n’avait été omis de ce qui pouvait garantir la sécurité ou les intérêts des sujets de la reine. A dater de ce jour, les Anglais pouvaient hardiment débarquer sur les côtes de l’empire russe, s’établir où il leur conviendrait, à Vologda ou à Colmogro, aller même plus avant, circuler à leur gré, soit à l’est, soit à l’ouest, trafiquer partout, en un mot, sans droits et sans entraves, — pourvu que ce fût au nom de Sébastien Cabot, de sir George Barnes et des autres consuls de la Compagnie Moscovite, — car tel était le nom que porterait désormais la Compagnie des lieux inconnus.

Charte plus libérale, concession plus complète, ne furent pas souvent obtenues par une société de commerce. A Moscou comme à Londres, il avait fallu peu de temps pour comprendre l’intérêt capital des deux peuples et des deux couronnes à seconder par une mutuelle bonne foi le développement des relations nouvelles. Les attaques des pirates, les accidens de mer, les naufrages, si ces événemens avaient lieu sur les côtes relevant de l’autorité du tsar, étaient autant de risques que les lettres patentes s’efforçaient d, atténuer. Le tsar restituerait ce que la mer n’aurait pas englouti ; il ferait réparation des dommages causés par ses sujets. Cet engagement était à peine signé qu’Ivan IV trouvait l’occasion de montrer la fidélité qu’il entendait mettre à le remplir. Les pêcheurs russes venaient en effet de découvrir dans la Varsina les deux navires qui s’y étaient réfugiés au mois de septembre 1553.

L’hiver polaire avait fait son œuvre. Ni sur la Speranza, ni sur la Confidentia, il ne restait un seul être vivant. Le journal de sir Hugh s’arrêtait aux premiers jours d’octobre. Le vaillant homme de guerre eût-il eu le courage de décrire heure par heure la lente agonie de son équipage ? Probablement il n’en eut pas la force. La lutte pourtant fut longue. Au mois de janvier 1554, le neveu de sir Hugh, Gabriel Willoughby, signait encore d’une main défaillante un testament qui fut retrouvé avec son cadavre sur la Speranza. Les Anglais, quelques Anglais du moins, avaient donc résisté, pendant plus de trois mois, à une température qui faisait reculer les Lapons eux-mêmes jusqu’aux lacs où ils vont, dès la fin de l’automne, se blottir et se cacher sous terre. Fut-ce la faim ou le froid qui acheva les malheureux marins ? Les annales de la compagnie sont muettes à cet égard. Willoughby et ses compagnons souffrirent sans témoins, moururent sans laisser à leurs compatriotes la suprême et amère douceur de savoir au moins comment ils étaient morts. Où reposent leurs dépouilles ? Ce n’est probablement pas sur une terre anglaise. Le gouvernement russe cependant avait tenu