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lui offrir, mange du bois vert. y a-t-il parmi nos fameux guerriers beaucoup d’hommes qui seraient capables de tenir ainsi la campagne pendant un mois ? Que ne pourrait-on faire avec de pareils soldats, s’ils étaient disciplinés, rompus aux manœuvres, habitués à combattre en ordre, comme le font les nations civilisées ! Supposez que le duc eût dans ses états des hommes capables d’instruire à cet égard ses sujets, croyez-vous que deux des plus puissans princes de la chrétienté, unissant leurs forces, fussent de taille à se mesurer avec lui ? Le duc possède non-seulement le peuple et les chevaux les plus aguerris, mais l’entretien de ses armées lui coûte peu. Il ne paie personne, si ce n’est les étrangers ; ses sujets font la guerre à leurs dépens. Les arquebusiers seuls reçoivent une petite solde pour s’approvisionner de poudre et de balles. Quand le prince veut récompenser ses soldats des services qu’ils lui ont rendus, il leur donne une pièce de terre. En échange, le propriétaire doit être prêt à le rejoindre au premier appel, avec autant d’hommes que le duc l’exige. Le duc estime ce que la terre concédée peut fournir.

Si quelque gentilhomme vient à mourir sans descendance mâle, le duc saisit sa terre. Le plus souvent il la donne à un autre gentilhomme, se contentant de laisser aux filles une petite portion pour les marier. Qu’un homme riche, un fermier, se trouve accablé par l’âge ou mis dans l’impossibilité de servir par suite d’accident, un autre gentilhomme plus valide vient trouver le duc, et lui dit : « Votre grâce a tel tenancier incapable de servir ; nous le voyons cependant vivre dans l’opulence pendant que d’autres gentilshommes qui peuvent encore aller à la guerre sont pauvres et manquent de tout. Votre grâce devrait aviser et engager ce riche invalide à venir en aide à ceux qui n’ont rien. » Immédiatement le duc fait venir le gentilhomme qui lui a été ainsi désigné. Il s’informe de sa fortune, et lui dit : « Mon ami, vous avez beaucoup de superflu, et cependant vous êtes inutile à votre prince. Moins vous suffira, et le reste sera distribué à d’autres qui se trouvent plus aptes à servir. » Ceci dit, on met sous le séquestre les biens du gentilhomme, sauf une petite quantité qu’on lui laisse pour assurer sa subsistance et celle de sa femme. Et il ne faut pas qu’il murmure ! il doit au contraire répondre : « Je n’ai rien à moi ; tout appartient à Dieu et au duc. » Personne en ce pays ne peut dire, comme nous en Angleterre, quand nous possédons quelque chose : « Voilà notre bien ; il est à Dieu et à nous. »

On dira que ces hommes doivent vivre dans des appréhensions perpétuelles, que leur servitude est grande, exposés qu’ils sont à perdre en un jour ce qu’ils ont laborieusement amassé pendant toute leur vie, parce que tel est le bon plaisir du prince ; Que nos