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éveillée, à mesure qu’il les fréquentait davantage. Il ne lui a pas suffi de connaître ce qu’elles sont aujourd’hui, il a voulu savoir ce qu’elles étaient autrefois, et même il a essayé de prédire ce qu’elles pourraient devenir un jour. De toutes ces études, de ces recherches diverses, il a fait un livre qui ne rentre dans aucune classification régulière, qui n’est tout à fait ni un traité, scientifique, ni un récit de voyage, ni une histoire suivie, mais qui présente au lecteur un vif attrait, et qu’on lira certainement jusqu’au bout quand on l’aura une fois ouvert.

Le rivage français de la Méditerranée se partage en deux parties distinctes qui offrent le plus étrange contraste. De Gênes à Marseille, tout est joie, vie et richesse ; le monde entier vient s’abattre sur ces pays heureux, qui ne connaissent pas l’hiver, et y chercher le plaisir et la santé. De Marseille à la côte d’Espagne règnent presque partout la solitude et la désolation. C’est la contrée dont M. Lenthéric nous entretient, et il a beaucoup à nous en dire. Comme il est géologue encore plus qu’historien, il ne se contente pas de lire les vieux livres et de recueillir les anciens récits, il observe la terre, il fouille le sol. Il connaît toutes les révolutions par lesquelles ce rivage a passé depuis les temps les plus reculés : il en sait l’histoire avant l’histoire. Ce malheureux pays n’a pas seulement souffert des ravages des hommes et de l’agitation des événemens, il a souvent changé d’aspect et en change presque sous nos yeux. Les grands fleuves qui l’arrosent charrient d’immenses quantités de sable ou de limon qui s’entassent vers l’embouchure ou s’échelonnent le long des côtes, qui forment tour à tour des îles, des lagunes, des étangs, et enfin des terres nouvelles. La science a étudié ces formations successives, elle en sait la loi, elle en connaît les vicissitudes. Pauvres antiquaires, qui êtes si fiers de nous dire, en compulsant de vieilles chroniques, quels habitans peuplaient ce pays et les villes qu’il renfermait du temps des Celtes et des Romains ! Le géologue va bien plus loin que vous ; il remonte aisément au déluge, et même beaucoup plus haut. Il décrit aussi sûrement que s’il le voyait de ses yeux quelle était la configuration de ces rivages, avant qu’il n’y eût des Romains ni des Celtes, et quand s’est formé ce sol où devaient s’élever des villes illustres !

Le livre de M. Lenthéric montre que ces recherches scientifiques ne sont pas inutiles à l’histoire ; elles servent à nous faire mieux comprendre le passé, elles sont une information de plus qui s’ajoute aux souvenirs que nous ont transmis les hommes. Les révolutions du sol expliquent souvent des faits qui semblaient d’abord inexplicables. Ce n’est pas seulement le caprice des rois ou le hasard des batailles qui déplace le mouvement et la vie, et les fait passer d’un pays à l’autre. La nature aussi est quelquefois responsable de ces changemens. Si ces villes mortes, dont M. Lenthéric s’occupe avec tant d’intérêt, étaient