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la déconvenue du mémorandum de Berlin, tout cela est encore possible et même évident ; mais ne voit-on pas que rien ne prouve mieux ce qu’il y avait de dangereux, de mai calculé, dans le système qu’on a suivi, qu’on devrait accuser d’abord avant d’accuser l’Angleterre ? Ne remarque-t-on pas qu’on aurait évité tous ces inconvéniens, ces incohérences et ces mécomptes en appelant franchement du premier coup à une délibération commune toutes les puissances intéressées, au lieu de commencer par une délibération restreinte qui devait aboutir fatalement à ce qui arrive ou à quelque démarche d’impatience et de dépit plus périlleuse que tout le reste ? Ne s’aperçoit-on pas enfin que ce qui se passe aujourd’hui est la démonstration la plus frappante de l’inutilité, de l’inefficacité de cette alliance du nord, qui ne peut être un instrument de guerre, puisqu’elle supposerait un accord impossible entre les trois empires, et qui dans les conditions ordinaires n’est qu’un poids sur les relations générales de l’Europe ?

Au fond, qu’on ne se plaigne pas trop, l’Angleterre a peut-être rendu service à tout le monde, à l’Autriche et à l’Allemagne, en leur permettant de réfléchir, à la Russie elle-même en lui offrant l’occasion de s’arrêter dans une voie sans issue. Peut-être en est-on déjà à le comprendre un peu partout, à Ems, où est l’empereur Alexandre II, comme à Vienne et à Berlin. La Russie a les intentions les plus pacifiques, nous n’en doutons pas : à ces intentions, elle allie, et elle en a le droit, le très vif et très sincère désir de venir en aide aux populations chrétiennes de l’Orient ; mais dans tout cela où est la nécessité de combinaisons particulières qui engagent quelquefois l’orgueil encore plus que les intérêts bien entendus d’un grand gouvernement ? L’expérience qui vient de se faire est assez décisive. Ce qu’il y a de mieux en vérité aujourd’hui, c’est de renoncer à toutes ces délibérations restreintes, de reprendre franchement, sans arrière-pensée, une action collective ramenée aux points essentiels sur lesquels on est d’accord. Ces points sont certainement assez nombreux pour offrir un terrain solide à toutes les puissances qui ont la généreuse ambition de mettre la paix du monde au-dessus des divergences secondaires et des petits froissemens de circonstance. On est d’accord pour reconnaître le nouveau sultan Mourad, comme pour maintenir l’intégrité de l’empire ottoman ; on est d’accord pour réclamer des améliorations sérieusement garanties en faveur des populations chrétiennes, et l’on est aussi d’accord aujourd’hui pour arrêter l’effusion du sang dans l’Herzégovine et dans la Bosnie, pour limiter l’incendie, pour empêcher la Serbie et le Monténégro d’aggraver la situation en se jetant dans la mêlée. Est-ce qu’il n’y a pas là plus que jamais, après ce qui vient d’arriver, tous les élémens d’une action diplomatique d’autant plus efficace qu’elle aura été délibérée et préparée en commun ? On répète tous les jours, et rien n’est plus vrai, que l’unanimité européenne peut seule offrir un caractère assez imposant pour