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en développant la part de l’intelligence et en accroissant le nombre des travailleurs ! Quelle place tenue par le goût ! Que l’on compare, sous le rapport de l’hygiène des grands établissemens, et même des établissemens de moindre étendue, l’enquête de M. Villermé et celle de M. Louis Reybaud : il semblera souvent que l’on n’a affaire ni à la même industrie, ni à la même époque ; on croirait qu’un siècle s’est écoulé. On suit, dans ces descriptions si précises sans tomber dans l’abus du technique, les perfectionnemens mécaniques avec les progrès qui ont permis à l’air et à la lumière de circuler abondamment dans de vastes salles, assainies par les moyens les plus ingénieux. Autrefois, même dans des centres importons, les laineurs travaillaient les pieds dans l’eau : ils étaient sujets à des maladies des membres inférieurs ; aujourd’hui ils travaillent sur un plancher isolé du sol ; les maladies ont disparu.

Il n’est pas facile de comprendre dans un jugement qui s’applique à tous les grands foyers de cette industrie, les variétés encore plus considérables au point de vue moral que sous le rapport matériel qu’on rencontre. Sans essayer de caractériser ces nombreux centres, j’en citerai quelques-uns étudiés avec un soin extrême par l’auteur. On y voit ressortir avec certains traits communs bien des différences non moins propres à montrer que la manufacture est loin d’être, pour ainsi dire, égale à elle-même. Ici le mal domine au moins sur quelques points : là c’est le bien qui sort vainqueur de la lutte. Ici les réformes sont lentes, imparfaites ; là elles marchent avec une rapidité, un ensemble qui frappent, et marquent le niveau où il ne parait pas impossible que tous atteignent un jour. On est loin par exemple d’être toujours satisfait de la peinture morale que l’auteur fait d’Amiens. Faut-il conclure qu’à Amiens les fabricans n’ont pas réalisé de très grands progrès ? Est-ce qu’il n’y a pas du bien aussi à dire de ces populations laborieuses ? M. Louis Reybaud y fait voir à l’œuvre une foule de perfectionnemens qui n’existaient même pas en germe il y a moins de trente ou quarante ans, établis en vue de l’éducation intellectuelle et morale des ouvriers, Dans la partie de la population rurale qui se livre à ce genre de travail, on trouve une race ferme et résistante. Que de louables qualités chez le tisserand des campagnes picardes ! quelle habileté de main ! quel esprit ouvert et quel art ingénieux ! Combien de patience, de dextérité chez cet ouvrier qui parvient à fabriquer les étoffes les plus raffinées par les procédés les plus élémentaires ! Mais, s’il y a quelque chose qui plaît dans la condition de ce tisserand, travaillant comme il l’entend et qui n’a de comptes à rendre que le jour où, sa pièce en main, il n’aura plus qu’à la faire agréer et à recevoir son salaire, la contre-partie n’est-elle pas, comme dans presque tous les cas de travail isolé,