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industrie du coton, la manufacture, armée de la puissance mécanique, lui ait nui ; loin de là. Elle a multiplié le nombre des artisans habiles, des excellens dessinateurs, et l’impression sur étoffes a pu faire, de cette matière de chétive apparence, un véritable produit de luxe en bien des cas. La plupart des remarques de l’auteur de l’enquête relativement à la concurrence que l’étranger cherche à nous faire au sujet de la soie ne seraient pas déplacées pour le coton. Ce parvenu plébéien a pu sans affectation se donner aussi, dans des produits d’élite, des airs d’aristocratie, et il s’est introduit dans les classes riches après avoir défrayé les populations peu aisées. Malgré les efforts faits par l’étranger, qui n’ont pas été toujours malheureux, et en dépit chez nous de déviations que M. Louis Reybaud traite avec une juste sévérité, le goût reste le secret de notre supériorité. On fait au dehors des tissus aussi riches, on n’en fait pas d’aussi beaux. La preuve que c’est bien là une qualité native ou traditionnelle, qui dépend de la race ou de l’éducation, non du climat, c’est qu’elle s’étend à toutes les régions. On retrouve le goût dans les brumes du nord comme dans les pays privilégiés par le soleil, associé aux plus vils métaux comme à l’or, aux plus grossiers textiles presque autant qu’à la matière première que le ver à soie livre au travail comme une richesse déjà payable au poids de l’or. Ce n’est pas sans raison que M. Louis Reybaud compare l’imitation industrielle à la traduction littéraire, où les beautés s’atténuent fort quand elles ne disparaissent pas, ajoutant que l’on copie nos modèles, comme on parle notre langue, « avec un accent étranger. » Servile ou maladroite, la contrefaçon ne saurait faire l’illusion de l’inspiration absente. Cela soit dit sans contester que d’agréables produits puissent sortir des fabriques des autres pays dans la confection de ces étoffes brillantes qui ont pour base le coton soumis à de merveilleuses métamorphoses.

M. Louis Reybaud rend hommage au travail, et surtout au travail inventif. On le voit à l’intérêt ému avec lequel il parle d’Oberkampf, de Richard Lenoir, d’Heitman, et de plusieurs autres. Si Oberkampf réussit, quelle destinée que celle des deux autres grands inventeurs que j’ai nommés ensuite ! Ne soyons pas indifférens non plus à l’égard de ces travailleurs modestes qui ont beaucoup contribué aux inventions et aux perfectionnemens. C’est à bon droit que le travail se montre fier de cette part de génie, comme a pu le voir encore naguère dans certaines enquêtes ouvrières écloses à propos des expositions industrielles. Le travail aime en ce moment à s’attribuer l’invention, la grande, à laquelle les savans ont bien pourtant quelque chose à prétendre, comme la moindre, celle qui rend certaines tâches plus expéditives, ou permet de les mieux accomplir.