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assurément. On peut même croire que cet effet se serait produit moins brusquement, moins complètement peut-être, ainsi que l’agglomération ouvrière elle-même, sans le régime de serre chaude du système ultra-protecteur et prohibitif qui a précipité le développement industriel. Mais s’il est inévitable que nombre de femmes travaillent, le régime manufacturier leur attribue une rémunération plus assurée et moins misérable. Comment les mœurs pourraient-elles Se trouver bien de cette extrême insuffisance de moyens de vivre auxquels des salaires plus élevés, quoique souvent encore un peu faibles, ont apporté une réelle amélioration ? Est-il enfin bien certain que le régime manufacturier favorise, par le seul fait du rapprochement des sexes, ce genre de désordre plus que le travail morcelé, qui laisse au vice et au libertinage tant d’occasions dans les grandes villes, et permet si peu de surveillance ?

De tout cela, que conclut l’auteur de l’enquête ? Cherche-t-il à atténuer ce que le spectacle offert par les populations manufacturières présente souvent de triste ? Nullement ; mais il ne s’en croit pas moins autorisé à reconnaître à ce régime un certain nombre de supériorités marquées qu’il discerne avec beaucoup de pénétration. C’en est une, même au point de vue moral, que la moindre irrégularité du travail, que la moindre fréquence des chômages dans un système qui ne peut sans préjudice interrompre l’emploi de l’outillage et du capital engagé, et qui se fait un point d’honneur de ne s’arrêter qu’en cas de nécessité absolue. Combien, si l’on veut être juste, de souffrances, de prétextes de sédition, de causes de chutes évitées par cette stabilité relativement plus grande ! Sans croire l’épargne toujours possible, il est vrai aussi que la manufacture lui ouvre une facilité et une marge moins restreintes. Cette marge peut même devenir assez étendue, si l’ouvrier est régulier et, il faut bien l’ajouter, si ses charges ne sont pas trop lourdes. Enfin M. Louis Reybaud regarde comme un incontestable bienfait un travail plus discipliné, plus exact, à heures fixes, mieux à l’abri de ces interruptions volontaires, parfois périodiques, que se permet le travailleur libre sans rencontrer d’obstacles. Cette régularité vaut mieux à tous égards que la manière capricieuse dont l’ouvrier emploie ses forces, tantôt n’en usant pas assez, tantôt en abusant jusqu’à la fatigue. Un tel régime, fâcheux pour le corps, ne l’est pas moins pour l’équilibre moral. Que d’heures perdues dans le travail isolé, perdues pour la société, perdues pour le salaire ! que d’heures données à des distractions vicieuses, au préjudice de la famille, de la communauté tout entière ! L’ouvrier qui s’amuse, — un mot qui cache sous une excitation passagère et malsaine tant de souffrances durables, — n’est-il pas plus souvent encore l’ouvrier sobre