Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/903

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

heures qui, dans le milieu où il vit, par les lectures, l’instruction, les distractions mêmes, l’arrachent à cette influence, dont il ne faut pas peindre trop en noir les effets. En réalité, les ouvriers qui travaillent à la mécanique ne sont pas moins intelligens que les autres, souvent même ils le sont plus : cela est après tout une réponse qui en vaut une autre.

Est-on désarmé contre ces excès de travail qui ont été l’objet de plaintes souvent légitimes ? M. Reybaud fait voir que le mal a été combattu souvent avec efficacité. L’auteur, à un moment où la question du travail des enfans dans les manufactures restait controversée et mal résolue, réclamait hautement l’intervention publique au nom de la morale et de l’hygiène, dans l’intérêt de ces êtres faibles comme dans celui de la race et de la nation. Il ne pense pas même que la loi doive se désintéresser complètement de la condition des adultes : c’est ainsi qu’il applaudit à la réduction du travail manufacturier à une durée de douze heures. Il approuverait même la réduction à dix heures et demie par jour, du moins dans la coutume, comme l’a établi l’initiative personnelle en Angleterre pour la manufacture de coton. La suppression du travail de nuit a été aussi une satisfaction donnée à de trop justes griefs. Il n’y a donc plus lieu, sauf des exceptions qui deviendront de plus en plus rares, à s’élever contre l’abus immoral de la force humaine, comme formant un des traits indélébiles du régime manufacturier qu’on représentait comme destiné fatalement à ressusciter l’esclavage antique.

C’est avec le même sang-froid que M. Reybaud apprécie d’autres reproches, adressés à la manufacture au nom de la morale. Le plus grave comme le plus habituel est celui qui lui impute de dissoudre la famille, de prendre la femme et les enfans, de les séparer dans l’atelier même, pour ne les réunir qu’à de rares intervalles ou la nuit seulement, dans une sorte de promiscuité, en d’affreux taudis sans lumière et sans air, qui rendent la cohabitation odieuse et impossible. Le vrai et le faux se mêlent dans ce tableau. Le travail manufacturier exclut-il les moyens de resserrer le mal dans des bornes beaucoup plus étroites ? En ce qui touche les logemens insalubres, est-il même fort exact de l’en rendre à ce point responsable ? Ce fléau existait dans l’ancien régime. De nos jours, on l’a retrouvé sans cesse dans le travail isolé. Étaient-ce des ouvriers de manufacture, ces chiffonniers de la rue Mouffetard, ces ouvriers, si horriblement logés, du vieux Paris et de tant d’autres villes ? Quant au travail des femmes, il y a beaucoup à dire sans doute, et il serait infiniment désirable que, dans les cas où il est nécessaire, il pût avoir lieu à domicile ; mais est-ce toujours possible ? Les tâches simplifiées par la division du travail et la mécanique, l’ont accru