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amplifié non-seulement par la dignité et le sérieux des expressions, par la largeur de sa manière et par la sévère harmonie de sa couleur grasse, épaisse, un peu chargée, mais encore par l’attention qu’il a eue de subordonner tous les incidens au principal. Les bibelots ne manquent pas dans cet atelier ; le peintre n’a eu garde d’en faire étalage. Bahuts, poteries, aiguières, tentures, portefeuilles, tout est indiqué sommairement. Sur le fond obscur du tableau, la figure de la femme assise se détache seule en pleine lumière, et cette tête qui pense est le centre vers lequel tout converge. M. Munkacsy n’en est plus à apprendre que l’esprit de sacrifice est le secret du grand art. On lui a souvent reproché de peindre trop noir, de même qu’on accuse M. Henner de peindre trop blanc ; il a changé de muse, celle qui l’inspire aujourd’hui est une blonde aux yeux gris, et elle a répandu dans son dernier tableau une lumière blondissante du plus heureux effet. En revanche, on ne lui a jamais reproché de ne pas savoir composer une scène. Il en a peint jadis de plus tragiques, et cependant il n’a rien fait de plus intéressant que le portrait de ce peintre qui tient conseil avec sa femme sur le moyen de redresser un paysage qui boite. En revoyant cet intérieur d’atelier, quelqu’un s’est écrié avec un accent de profonde sympathie : « Eh ! que diable, ils n’ont pas encore trouvé ! »

M. Détaille, qui s’est surpassé, est parvenu à rendre très dramatique un tableau dans lequel, à proprement parler, il ne se passe rien. Un bataillon de chasseurs à pied, envoyé en reconnaissance, occupe un village où vient d’avoir lieu un engagement de cavalerie. C’est en hiver ; nous enfilons du regard une rue montante et glissante. Au premier plan, l’avant-garde immobile, l’arme au pied ; à gauche, dans une encoignure, un gendarme blessé auquel on donne des soins ; à droite, un porte-enseigne prussien, beau jeune homme roux, tombé mort sous son cheval, qui perd son sang. Plus loin, un prisonnier assis sur le trottoir. Le long d’un mur se coulent deux enfans, partagés entre l’effroi et le désir de voir. Dans le fond, le gros du bataillon débouche par trois côtés à la fois. On retrouve dans ce tableau toutes les qualités qui ont fait la réputation de M. Détaille, le parfait naturel, autant de précision que d’esprit dans la touche et beaucoup de mouvement. On voit s’avancer, on voit marcher ce bataillon. Chaque figure des premiers plans a son cachet, elles sont expressives et parlantes, on n’en pourrait supprimer aucune sans faire tort à l’ensemble. Un sapeur, vieux routier, tourne la tête pour regarder le uhlan mort ; son visage est un cours entier de philosophie à l’usage de ceux qui risquent leur peau dans les terribles jeux de la guerre. Derrière lui, un conscrit tend le cou et ouvre de gros yeux ronds ; on sent qu’il en est à sa première affaire. Mais ce qui attire et retient surtout l’attention, c’est l’officier,