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sujets de mythologie ou d’histoire peuvent se féliciter de leur audace ; ils ont fait leur trou. D’autres ont obtenu un succès d’estime ; on ne songe pas à leur reprocher la grandeur de leur toile, ils ont su broder leur canevas. Il est une chose cependant qu’ils feraient bien de se rappeler. Il passe pour constant que les Noces de Cana, qui ont près de 10 mètres de largeur et plus de 6 mètres de hauteur, sont la plus grande machine et la plus vaste composition que renferme le musée du Louvre. Nous nous surprenons à en douter toutes les fois que nous revoyons un petit tableau sur bois que Rembrandt a intitulé les Pèlerins d’Emmaüs. En peignant ce tableau, qui n’a que 65 centimètres de large, il a mis dans sa couleur comme dans son dessin une intensité de sentiment, une sublimité de génie et d’inspiration qui dépassent tout ; dans un regard levé au ciel il a fait tenir l’infini. Ce ne sont pas nos yeux qui décident de la véritable grandeur d’un tableau, c’est notre imagination ; mais il faut savoir lui parler.

Nous trouvons au Salon un envol de quatrième année de M. Lematte, pensionnaire de l’Académie, et cet envoi mérite sans contredit la médaille de première classe qui lui a été décernée. C’est une grande machine, solidement établie, qui se distingue par des qualités vraiment supérieures de dessin, de construction et d’ordonnance. Oreste est réveillé en sursaut par la vision du cadavre de sa mère, que lui montrent trois Furies coiffées de serpens. Une jambe hors du lit, il s’appuie sur une de ses mains et soulève de l’autre une draperie d’un jaune orangé derrière laquelle il se cache. Cet Oreste est excellent, sa figure est émouvante dans la demi-teinte qui l’enveloppe, son geste est naturel et saisissant. Les Furies forment un beau groupe, le cadavre qu’elles portent dans leurs bras parle avec une douloureuse éloquence. D’où vient que ce tableau ne produit pas tout l’effet qu’on pouvait en attendre ? C’est que l’artiste n’a pas su frapper sur notre imagination un de ces coups qui la font tressaillir. Les visions des consciences troublées ont toujours quelque chose d’étrange, de bizarre, de confus, d’incohérent et de profondément mystérieux. On aperçoit des visages, on entend des voix, et on se dit : Est-ce un rêve, une illusion ? Ce visage est-il un vrai visage ? Cette voix qui me parle, ne serait-ce pas la mienne ? Dans le tableau de M. Lematte, le cadavre de Clytemnestre et le lit d’Oreste sont éclairés d’une lumière blanche qui n’a rien de fantastique, rien de vibrant ; elle est inexplicable, elle n’est pas mystérieuse, cette lumière doit effaroucher les fantômes et faire chanter les coqs. Ajoutons que les vrais fantômes, ceux que nous prenons au sérieux, ont dans leurs manières, dans leurs allures, dans leurs gestes, une sorte de familiarité brutale qui nous donne le frisson. Quand Eschyle les fait parler, ils grognent et hurlent comme des