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Cosi privô la fera della cena
Per lei soav e delicata troppa.


Hélas ! Roger n’en tâtera pas non plus de ce morceau de roi ; l’histoire rapporte qu’au moment où il se mettait à table, un enchantement fatal l’obligea de demeurer sur son appétit. Il n’y a rien de tragique dans cette galante aventure, c’est une histoire de cape et d’épée ; il ne fallait pas emboucher la trompette, un luth bien accordé suffisait. A vrai dire, M. Blanc n’a pas voulu nous épouvanter ; son orque est un monstre en carton que nous avons vu figurer dans plus d’une féerie, et la vague furieuse qui l’apporte est en fer-blanc verni. En revanche, il a pris au grand sérieux son Angélique, il en a fait une noble et ravissante Andromède, fille de Cassiopée ; son Roger est un Persée d’une exquise beauté, aussi fier que langoureux. Un peintre qui emprunte des sujets à l’Arioste est tenu d’avoir de la fantaisie, de la verve, un peu de gaillardise dans l’humeur, il est bon qu’il sache rire et jeter son bonnet par-dessus les moulins ; il ne peut se dispenser non plus d’avoir le don de la couleur, car l’Arioste est un incomparable coloriste. La Délivrance de M. Blanc manque absolument de gaîté, et la couleur en est pâle, timide, un peu chlorotique. Le corps d’Angélique et la tête de Roger font le plus grand honneur à l’artiste, mais il ne fallait pas traduire en solennels alexandrins les hendécasyllabes ailés du Roland furieux.

Il y a quelques années, M. Rios Rosas, qui était presque seul à représenter dans les cortès républicaines le parti de l’opposition conservatrice et monarchique, disait fièrement à ses adversaires : « Ne nous demandez pas combien nous sommes, demandez-nous plutôt ce que nous valons. » Ce mot nous a été remis en mémoire par tel tableau où l’auteur a multiplié les personnages, pensant donner à son sujet plus de corps et plus d’ampleur ; nous devinons que ces personnages ont été mis là pour faire nombre, et nous nous disons : il y a de la bourre dans cet ouvrage. On n’étoffe pas un sujet en le tirant en longueur, en le distendant jusqu’à le faire craquer ; une composition n’est pas riche parce qu’elle est compliquée, et la victoire n’appartient pas en peinture aux gros bataillons. Règle générale, tout tableau d’où l’on peut enlever quelque chose sans y faire trou nous paraît petit. Dans sa jolie Fête foraine, M. Fichel nous montre plus d’un tréteau, plus d’un pierrot, plus d’un saltimbanque, et une foule assemblée, où tous les visages ont un air de famille. Dans ses Charlatans italiens, cet admirable poète qui s’appelait Karel Du Jardin ne nous a montré qu’un Polichinelle ; encore n’aperçoit-on que sa tête passée entre les toiles d’une baraque. Il nous montre un seul Scaramouche faisant la parade, mais quel Scaramouche ! un seul Arlequin jouant de la