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se prélasse dans un fauteuil. L’élégance de touche de M. Worms, et cette pointe de mélancolie rêveuse que M. Pille mêle aux duos de ses amoureux, ne sont pas des qualités communes. Combien de gens sont-ils capables de conter une anecdote comme M. Vibert, en la saupoudrant de sel gaulois ? Celle qu’il nous raconte cette année a obtenu un franc succès, elle est fort amusante ; la Bonne histoire de M. Léo Herrmann l’est un peu trop, on n’en rit pas deux fois. Petits ou grands, les tableaux sont faits pour être revus, et on se lasse vite de ce qui est forcé ; mais qui se lasserait de revoir les Ouvrières en perles de M. Van Haanen ? Aux histoires trop drôles, nous préférons certaines peintures un peu tristes, telles que le Petit lever de Mlle Eva Gonzalès, qui gagnent à être revues ; on y sent le goût du vrai, l’inquiétude d’un esprit qui cherche, d’une main qui tâtonne et d’un talent qui se débrouille ; le papillon ne s’est pas encore dégagé de sa chrysalide, mais les ailes lui poussent.

Bien que les tableaux qui se mesurent à l’aune ne soient pas d’une défaite facile, ils ne laissent pas d’abonder au Salon. Il en est dans le nombre qui ont de sérieuses qualités et dont le seul défaut est précisément d’être trop grands. Beaucoup d’artistes font grand, les uns pour attirer sur eux l’attention du jury qui décerne les médailles, d’autres parce qu’ils n’ont pas réussi à condenser ou à résumer leur idée. Nous connaissons un poète qui écrit en vers à ses amis, quand il n’a pas le temps de leur écrire en prose ; certains peintres font des tableaux de six pieds de large, parce qu’ils n’ont pas eu le temps de les faire plus petits. On ne dira pas d’eux, comme du prince de Condé, qu’ils ne remplissent pas leur mérite ; si grand qu’il soit, leur mérite ne remplit pas leur toile, et leur sujet danse dans le cadre comme un bon mot ou comme une bonne pensée perdue dans une page in-folio.

C’est un remarquable paysage que le Plateau du Jura de M. Pointelin. Il est plein d’air, on y sent courir le vent frais de la montagne. Nous pourrions citer tel paysage d’Hobbema où l’on a plus de peine à respirer ; mais Hobbema se donnait la peine de composer ses tableaux. M. Pointelin n’a logé dans sa grande toile que deux maigres arbustes et un rocher ; son Jura est une vaste scène où il ne se passe rien. Habiter pendant vingt-quatre heures ce plateau et y lire le Café militaire de M. Henry Monnier, il y aurait là de quoi vous donner des idées de suicide. Nous en voulons aussi aux grèves de Mme La Villette, elles nous gâtent ses belles marines, elles ont trop d’importance, trop d’étendue ; vos rochers, vos sables, sont observés à la perfection, mais vous les prodiguez. Au lieu de nous donner le sentiment de l’infini, vous nous donnez le sentiment du vide, et ce n’est pas la même chose.

Il en est du Rémouleur de M. Capdevielle comme des grèves de