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prend avec les planteurs des engagemens qu’il n’aime pas à tenir, et qu’il se garde oisif le plus qu’il peut. Sam, paraît-il, ne brille pas non plus par les vertus du père de famille. L’éducation des enfans à la manière des blancs n’est pas son fait, cela condamne au travail, à la privation, restreint la consommation de whiskey du père et de la mère. Ce que les noirs ont le mieux compris jusqu’à présent à leur nouvel état social, c’est qu’au moyen du vote ils pouvaient être envoyés aux assemblées législatives où ils toucheraient quatre ou cinq dollars par jour sans faire autre chose que fumer des cigares dans les couloirs ou mâcher du tabac à leurs bancs. Et cependant ce nègre paresseux, ignorant et burlesque, possède des qualités sociales, à demi serviles encore, il est vrai, mais sérieuses. Il a de la docilité et de l’obéissance, et c’est à ces qualités que le sud doit de ne pas avoir entièrement succombé. Le blanc reprend par là avantage sur lui, le ramène à la modération et à la raison, évite les choix trop malencontreux ou les mesures trop néfastes. « Nos noirs nous connaissent et nous les connaissons, disait-on de toutes parts dans le sud à M. Dixon ; qu’on nous laisse seuls avec eux, qu’on nous débarrasse des Carpet-baggers, qu’on fasse un emploi moins partial des troupes fédérales, et encore aujourd’hui les choses se passeront bien. »

Malheureusement ce tête-à-tête les vainqueurs ne le permettent pas à la population blanche. Des nuées d’aventuriers politiques ver-nus du nord, connus sous les sobriquets de carpet-baggers et de scalawags, descendent par les chemins de fer dans des états dont ils ne sont pas natifs et où jusqu’alors ils n’avaient souvent jamais mis le pied, porteurs pour tout bagage d’un sac de voyage et de convictions plus ou moins fanatiques. Il s’agit d’empêcher que les vaincus relèvent jamais la tête et conçoivent jamais l’espoir de rompre cette union fédérale autrefois libre et établie sur pacte, aujourd’hui imposée et établie sur conquête. Il faut en un mot que le sud traverse ces dures et longues phases de transition tyrannique et de contrainte sanglante par lesquelles ont passé les provinces récalcitrantes dans tout pays qui a conquis unité, pouvoir fort et centralisation. Pour cela tous les moyens sont bons, même celui de placer la population blanche sous le joug de la race noire. C’est à cette œuvre que s’occupent ces politicians qui s’abattent du nord sur les régions du sud, et malheureusement ils trouvent un auxiliaire tout-puissant dans la politique du gouvernement actuel de Washington. Ils nouent relation avec les élémens d’intrigue, de désordre et d’ambition qui abondent dans toute société bouleversée, s’en font le centre au bout de peu de temps, et organisent des ligues noires pour s’emparer des pouvoirs de l’état et s’assurer la victoire aux