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districts indiens faisaient plus cruellement encore la même expérience, car ils étaient placés sous la domination des squaws qui, bêtes de somme et de labeur elles-mêmes, se vengeaient du sort en rendant à ces malheureux les mauvais traitemens et les fatigues que leur imposaient journellement leurs seigneurs tatoués. S’il se plaignait, le gourdin rappelait l’esclave à des sentimens plus stoïques ; s’il se révoltait, un coup de hache mettait fin à la rébellion. L’Indien, qui n’a pas la notion du capital, ne ménageait pas son bétail humain comme le planteur de la Géorgie et des Carolines. Il n’en faisait pas non plus l’élève comme le planteur de la Virginie, et il était indifférent au croît de l’esclave, que l’on accouplait, pour les nécessités de la génération, aux plus vieilles et aux plus laides femmes du camp, soit noires, soit rouges. De là cette abondance de zambos nains et contrefaits. Ce qui est pour les autres hommes le dernier degré du malheur devait apparaître à celui-là comme une bénédiction. A coup sûr, il aurait considéré comme un bonheur insigne d’être conduit en foire sur les marchés du sud, et lorsqu’il pensait à ses frères, esclaves des blancs, des visions riantes de pays heureux où la chair ne saignait que de temps à autre sous le fouet de l’overseer devaient passer devant ses yeux. La misère, on le sait, est singulièrement féconde, mais il paraît que la servitude l’est encore davantage ; en outre, de tous les mammifères le nègre est celui dont le sang est le plus chaud ; grâce à ces trois causes réunies, la race nègre, en dépit de cette affreuse oppression, avait crû dans les districts indiens avec une extrême rapidité. « Au moment de la guerre les Seminoles avaient 1,000 esclaves, les Cherokees et les Chickasaws chacun 1,500, les Creeks et les Choctaws chacun 3,000, » total 10,000 nègres contre une population de 14,000 Indiens possesseurs d’esclaves. Lorsque la guerre éclata, les cinq tribus susnommées se trouvèrent donc intéressées dans la querelle qui divisait les blancs de l’Union. Jefferson Davis les fit sonder par un de ses agens nommé Albert Pike, homme adroit qui obtint aisément leur concours contre la promesse de la vente libre du whiskey sur leurs territoires. Cinq mille Indiens s’enrôlèrent sous la bannière du sud, mais, mieux faits pour la guerre d’embuscades que pour la guerre régulière, ils s’enfuirent au premier tapage de l’artillerie, ne rendirent jamais aucun service, et se bornèrent pour tous exploits à scalper sur les champs de bataille les morts et les blessés, fait qui, répété par tous les porte-voix de la presse américaine, jeta un instant un tel odieux sur la politique du sud, que Jefferson Davis se décida à les congédier. Ils s’en retournèrent donc dans leurs prairies, laissant à la fortune du sud le soin de décider s’ils conserveraient ou non leurs esclaves. La fortune répondit non, et les noirs se trouvant délivrés,