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justice régulière fait naturellement passer aux foules le droit de répression et de châtiment, et donne naissance à des associations plus ou moins secrètes qui, sous prétexte de bien public, deviennent rapidement malfaisantes comme toute chose qui échappe au contrôle de l’opinion. Ajoutez enfin que dans ces régions de l’ouest l’esprit d’égalité démocratique a ses coudées entièrement franches ; ajoutez que l’esprit d’indépendance absolue, de self reliance, qui caractérise l’Américain, y est dans son plus entier épanouissement, et vous comprendrez qu’il n’est pas absolument nécessaire de chercher dans les mœurs sauvages l’explication de faits comme les vengeances personnelles, la loi de Lynch, ou les associations du genre de celle du Ku-Klux clan. Cela dit, nous ne ferons aucune difficulté d’admettre que des exploits pareils à l’acte de sinistre et grotesque justice que nous allons rapporter mériteraient en effet d’être inspirés par des Indiens, et plût à Dieu que ce fut à leur seule influence et à nulle autre cause qu’il fallût les rapporter !


« Un fermier, nommé Vancil, vivait près de Soto, ville sur la Grosse-Rivière-Boueuse, dans la partie sud de l’Illinois. Vieux et faible, ce fermier eut une querelle avec sa femme, qui laissa la ferme et s’en alla vivre avec ses parens à quelque distance. Ayant besoin d’aide dans sa maison, Vancil prit une femme à gages, et plaça ses pots et ses poêlons sous sa charge. Un jour, douze individus masqués et déguisés vinrent à sa ferme, et, le trouvant au logis, ils lui dirent qu’ils avaient jugé son cas et décidé ce qu’il devrait faire.

« — Vous vous établissez juges entre ma femme et moi ?

« — Oui, monsieur, nous avons pesé les faits.

« — Les faits ! quels faits ?

« — Peu importe ; nous avons pesé les faits, et nous trouvons que vous avez tort.

« — Bon, dit Vancil, si vous savez…

« — Il est inutile de parler, dit l’orateur de la bande, nous sommes venus pour remettre les choses en bon ordre. Vous allez renvoyer cette ménagère ; vous ferez revenir la vieille femme au logis, vous vous réconcilierez, et à l’avenir gardez-la à la ferme.

« — N’avez-vous pas encore d’autres ordres à me donner ? demanda Vancil, se levant furieux.

« — oui, répond le porte-parole, qui énumère différentes choses de peu d’importance que le fermier devra exécuter.

« — Supposons que je désobéisse ?

« — N’essayez pas, grogna le porte-parole. Si vous refusez d’exécuter ces ordres, nous vous pendrons comme un chien. Prenez garde !

« Le fermier congédie immédiatement sa servante et écrit à sa