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ou même que la guerre anglo-française, car c’est au succès des ennemis de l’esclavage pour abolir la traite des noirs qu’il faut la rapporter. Lorsqu’il y a un peu plus de vingt ans il devint à peu près impossible de se recruter d’esclaves sur la côte d’Afrique, les planteurs de Cuba et du Brésil pensèrent à remplacer les noirs par des travailleurs asiatiques loués par contrat, d’une manière étroite et pour de longs termes qui en faisaient de semi-esclaves, et c’est ainsi que les Chinois réapprirent le chemin de ces régions qu’ils avaient contribué à peupler dans des temps lointains dont l’histoire a peine à retrouver la mémoire. Comme les coolies d’autrefois, bon nombre de ces nouveaux émigrans sont la propriété de trafiquans qui louent leurs services ; les femmes notoirement sans exception sont de véritables esclaves achetées en Chine et transportées en Amérique pour y être soit vendues, sont exploitées d’une manière infâme. Quant aux émigrans qui n’appartiennent pas à ces fangeuses catégories, ils sont libres pour la plupart, à peu près comme l’étaient sous l’ancien régime les jeunes paysans qui avaient contracté engagement avec les sergens recruteurs.

Désireux de savoir à quoi s’en tenir, M. Dixon a interrogé un des riches résidens chinois de San-Francisco, membre du comité d’émigration en Californie, et de l’enquête poursuivie pour lui, il paraît résulter que cette émigration, loin d’avoir aucun caractère de spontanéité, est très probablement l’œuvre, entreprise avec sagacité et poursuivie avec suite, des autorités chinoises, qui ont eu recours à ce moyen pour se débarrasser de l’énorme excédant de leur grouillante population que rien ne peut parvenir à diminuer, ni la guerre civile, ni la famine, ni la pratique de l’infanticide. Un véritable esprit de gouvernement se laisse apercevoir dans la manière dont s’opère cette émigration. Des agens parcourent les provinces, portent aux multitudes misérables et affamées la bonne nouvelle d’un pays où les montagnes sont d’argent, où les rivières roulent de l’or, où il y a des terres pour quiconque veut les travailler, et leur persuadent aisément que ce qu’ils ont de mieux à faire, est d’en aller juger par elles-mêmes ; le voyage ne leur coûtera rien, elles ne payeront qu’après avoir vu. Les pauvres diables acceptent avec empressement, et trouvent tous les moyens désirables de transport. Pour cinq dollars, somme modeste, ils sont conduits de n’importe quel point du pays à l’un des ports de l’empire, où ils sont recueillis par l’une ou l’autre des cinq grandes compagnies formées en Chine expressément pour le transport des émigrans. Le prix du voyage de Chine en Californie est de quarante dollars environ. Si l’émigrant ne peut payer, ce qui est le cas le plus ordinaire, la compagnie accepte son engagement écrit ou celui d’un des membres de