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cependant avant d’arriver en Californie il ne savait ce que c’était qu’une botte. Peu après son débarquement, manquant d’ouvrage et cherchant pâture, il apprend qu’un bottier juif, Aaron Isaac, a besoin d’ouvriers, et il va résolument lui proposer ses services. Le juif le loue à bas prix. Yin-yung a bientôt pénétré tous les mystères de l’art du bottier, il ouvre boutique à son tour et souffle toutes les pratiques de son maître. Les Chinois attaquent donc doublement les intérêts des travailleurs blancs, ils les attaquent et par leur habileté et par les bas salaires dont ils se contentent. Aussi font-ils baisser considérablement les prix de main-d’œuvre, même dans les régions où ils ne se trouvent pas et dans les industries qu’ils n’exercent pas encore. Il n’y a pas de Chinois dans l’Illinois, cependant une maison d’horlogerie de Chicago, la maison Cornell et Cie, alléchée par les bas prix du travail mongol, a résolu de se transporter à San-Francisco et de remplacer ses ouvriers américains par des Chinois qu’elle formera dans ses ateliers. Déjà des industries entières, la fabrication des cigares, la cordonnerie, les manufactures d’étoffes de laine, les conserves de fruits, sont presque exclusivement la propriété du travail mongolique.

Si le mal s’étendait au territoire entier des États-Unis, il serait encore bien léger : ce qui fait sa gravité, c’est qu’il sévit exclusivement sur une partie de ce territoire ; 300 ou 400,000 Mongols sont peu de chose sur une population de 40 millions d’habitans, mais suffisent parfaitement pour altérer la constitution politique, les conditions du travail et les mœurs générales d’une société de deux ou trois millions d’âmes. Aussi la question mongolique a-t-elle eu cela de très particulier, que jusqu’à ce jour elle a passé presque inaperçue aux États-Unis, tandis qu’en Californie elle a causé une émotion bien naturelle, qui s’est traduite par des lois dont le but est de limiter et de contrôler l’entrée des Asiatiques sur le sol californien, d’exclure les Chinois des droits politiques, et de s’assurer autant que possible de la nature des cargaisons humaines que les vaisseaux venant, de Hong-kong débarquent sur les côtes américaines. Un bruit courant et accepté à San-Francisco, c’est que cette émigration se compose presque exclusivement des égouts de la Chine que les mandarins dégorgent et vident ainsi en Amérique, en sorte que son nom véritable serait plutôt déportation ou transportation. Ce qui est tout à fait certain, c’est que cette émigration est loin d’être libre et volontaire et qu’elle conserve le caractère qu’elle a eu à son origine. On s’en rappelle peut-être les commencemens. M. Dixon se trompe, croyons-nous, lorsqu’il attribue cette émigration à la brèche ouverte dans la grande muraille par le canon anglais ; elle a eu malheureusement une origine plus morale que l’ancienne guerre de l’opium,