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longtemps égale entre la population masculine et la population féminine, les femmes ont un tel prix en Californie qu’on n’a pas pu encore s’y décider à en condamner aucune en justice. Tant de magnanimité serait faite pour toucher le sensible cœur féminin ; cependant, s’il faut en croire M. Dixon, les femmes sont loin de rendre aux hommes ces sentiment chevaleresques. « Une jeune dame californienne, récemment divorcée, se plaint à son amie, une veuve de vingt-cinq ans, que son ex-mari dit sur elle des choses singulièrement cruelles. — Et pas un mot de cela n’est vrai ? — Comment pouvez-vous le demander ? — Seulement pour la forme. Maintenant, ma chère enfant, j’ai eu trois maris qui n’étaient ni meilleurs, ni pires que d’autres hommes, mais ils sont tous défunts. Ma chère, il n’y a que les maris morts qui ne racontent pas d’histoires. »

Ce qui est plus sérieux peut-être encore que ces conflits entre les anciens et les nouveaux dominateurs du sol californien, c’est la silencieuse invasion de la race mongolique, qui, depuis près de vingt ans, est allée toujours en augmentant. Il y a huit ans, dans New America, M. Dixon signala la présence de ces essaims d’Asiatiques en Californie, et fit remarquer le premier avec beaucoup de sagacité les conséquences désastreuses que ce fait pouvait avoir pour l’avenir de la race blanche en Amérique ; depuis cette époque, le mal s’est accru dans des proportions énormes, et il revient dans son nouveau livre sur ce sujet avec plus d’insistance. Il y a dix ans, il n’y avait de travailleurs chinois qu’en Californie, et leur nombre était encore assez faible ; aujourd’hui ils sont plusieurs centaines de mille, et on les rencontre dans toutes les régions de l’ouest et même du sud des États-Unis. Ce n’est encore là qu’un tiers de l’immense courant d’émigration qui ne cesse de couler des ports de la Chine ; la Polynésie et surtout l’Australie héritent des deux autres tiers. « De préférence cependant ces Mongols se rendent en Californie ; d’abord parce que le voyage est facile et à bon marché, ensuite parce que le climat leur convient, enfin parce que le salaire est plus élevé et le marché plus vaste que partout ailleurs. De Californie ils se rendent dans l’Orégon par mer, à Nevada, Idaho et Montana par terre. Ils ont trouvé dans l’Utah peu de marchés, les Mormons étant aussi sobres et aussi laborieux qu’ils le sont eux-mêmes. Cependant même dans Salt-Lake-City, ils ont trouvé un logement. Ils arrivent par foules, et chaque année les foules s’accroissent en volume. D’abord ils sont entrés par deux et par trois, puis par dizaines et par vingtaines, peu après ils entrèrent par centaines et par milliers. Maintenant ils arrivent par dizaines de milliers. » Il est évident que par leur nombre seul ces multitudes seraient déjà capables de modifier profondément les