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ministres se contentaient d’y voir une solution très sage aux difficultés pendantes ; le roi, causant un jour avec M. Guizot, y signala un avantage de bien plus haute portée, une valeur générale et permanente : « les Pays-Bas, dit-il, ont toujours été la pierre d’achoppement de la paix en Europe ; aucune des grandes puissances ne peut, sans inquiétude et jalousie, les voir aux mains d’une autre. Qu’ils soient, du consentement général, un état indépendant et neutre, cet état deviendra la clé de voûte de l’ordre européen. « Quand M. Guizot nous révélait ce détail, il y a une quinzaine d’années, il ne se doutait pas qu’il réfutait d’avance, et d’une façon péremptoire, toutes les accusations de Stockmar.


V

Le royaume de Belgique est enfin constitué. La Hollande, il est vrai, n’a pas encore souscrit au traité du 15 novembre 1831. Même après la ratification de ce traité par l’Autriche, par la Prusse, par la Russie, même après le mariage du roi Léopold et de la princesse Louise, même après le siège et la prise d’Anvers au mois de décembre 1832, le roi Guillaume Ier seul contre tous, s’obstine dans son refus. Comme on pourrait le contraindre et qu’on le ménage, il croit que la fortune peut lui revenir. C’est ce que ses courtisans appellent le système de persévérance. Il s’y enferme pendant plus de six ans. Enfin, vaincu par les instances toujours plus vives de la conférence de Londres, vaincu surtout par l’opinion du pays que fatigue cette résistance insensée, il cède en 1838, et subit des conditions bien autrement dures que celles de 1831. Il cède, le vieux roi, ennuyé, harassé, impatient de goûter le repos, et deux ans plus tard ayant épousé, chose étrange, une belle comtesse catholique et belge qu’il ne peut faire reine de Hollande, il abdique, se retire en Prusse et y meurt (1840-1843).

Pendant ce temps, la Belgique s’affermit et devient un des modèles de l’Europe. Est-il nécessaire de rappeler avec quelle sagesse le gouvernement du roi Léopold a triomphé des difficultés intérieures du nouvel état et fondé une dynastie populaire ? Ce serait dépasser les limites que nous nous sommes tracées. Ce sujet d’ailleurs a été souvent traité avec détail. Il l’a été dans la Revue à mesure que les circonstances appelaient l’examen des publicistes ; nos lecteurs n’ont pas oublié les travaux de M. de Carné, de M. Lefèvre de Bécourt, ni la belle étude que M. Émile de Laveleye a consacrée au règne de Léopold Ier après la mort du sage et libéral souverain. Un écrivain belge, muni de documens précieux, esprit attentif, impartial, et soutenu par une noble foi patriotique, a raconté toute cette histoire dans une série de biographies qui forment