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sont achetées et vendues même dans le voisinage des cours de justice américaines, » et il est plus d’un blanc qui ne se fait aucun scrupule de profiter de cette circonstance, sans être pour cela trop coupable envers la morale, car, ainsi que l’observe ingénieusement M. Dixon, « on attrape une coutume locale absolument comme on attrape une maladie locale. Il s’établit un combat entre votre constitution et la maladie. Si vous pouvez composer avec le mal, vous vivez, sinon vous mourez. »

Cette station de San-Carlos relevait de Santa-Clara, centre des très nombreux établissemens formés sur la côte de Californie par les frères de Saint-François. C’est ici le lieu de remarquer que dans White Conquest comme dans New America l’opinion de M. Dixon est singulièrement favorable au catholicisme comme instrument de civilisation et éducateur des races faibles et sauvages. Selon lui, l’entreprise des franciscains avait réussi, aussi absolument que puisse réussir entreprise de ce genre. Dans cette œuvre, ils avaient trouvé une tâche entièrement adéquate au génie de leur ordre, et de leur côté les Indiens avaient trouvé dans les franciscains les seuls maîtres dont ils pussent accepter l’obéissance sans plier sous le faix et sans en mourir. Fidèles à leur tradition de douceur volontiers enfantine, les frères avaient traité les Indiens comme ils voulaient être traités, c’est-à-dire comme des enfans timides qu’il fallait craindre d’effaroucher et qui avaient plus besoin de tutelle que de liberté. « Il n’y a pas de gouvernement ou de société, dit nettement notre auteur, qui ait su aussi bien que les franciscains gouverner cette race sauvage et pacifique. » Les reproches cependant ne leur ont pas manqué ; ils ont respecté, a-t-on dit, un trop grand nombre de coutumes des tribus, ils ont placé les Indiens dans un esclavage dissimulé, ils n’ont pas éveillé en eux le sentiment de la propriété, ils n’ont pas réussi à abolir l’usage de la vente des femmes et des filles. En supposant que ces reproches soient mérités, les pouvoirs qui ont succédé aux franciscains les ont mérités avec eux. Le gouvernement séculier a remplacé le gouvernement ecclésiastique, le Mexique l’Espagne, les États-Unis le Mexique ; les Indiens ont-ils renoncé à vendre leurs femmes et leurs filles, ont-ils acquis un sentiment plus profond de la propriété, ont-ils appris à faire un droit usage de leur liberté, ont-ils mieux prospéré en un mot que sous la règle franciscaine ? Hélas ! la vente des femmes se fait plus effrontément que jamais sous les yeux mêmes des autorités américaines ; tout objet possédé par un Indien est rapidement échangé contre l’eau de feu ; ces hommes libres, qui n’ont cependant aucune espèce de droits politiques, ont désappris les arts de l’agriculture et l’habitude du travail, et sont revenus à leur ancienne sauvagerie. Aussi la race se fond-elle avec une rapidité étonnante, et cependant, dit M. Dixon,