Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/78

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conférence de Londres. Il ne travaille pas non plus à restaurer le roi Guillaume. Que fait-il donc ? C’est ici que le mystère commence. Je vois bien par les révélations de Stockmar, par les confidences de M. de Bulow, par les conversations de lord Grey, que M. de Talleyrand a pensé très sérieusement à un partage de la Belgique entre la France, la Prusse et la Hollande ; ce qui est moins clair, c’est la question de savoir à qui appartient cette idée. Est-ce Talleyrand qui l’a conçue ? est-ce le roi de Hollande qui la lui a suggérée ? Quelques mots de Stockmar feraient croire que cette dernière conjecture est la vraie. Il cite dans un journal de Paris, en date du 1er juillet 1831, une lettre écrite de La Haye, d’où il résulte que le roi Guillaume se plaignait amèrement de la France, « laquelle, disait-il, n’avait pas voulu se prêter au partage de la Belgique. » Le roi Guillaume Ier était un esprit têtu, violent, implacable ; il eût été content de sacrifier une partie de son ancien royaume pour obtenir que Léopold ne fût point roi des Belges. Cette proposition d’un partage avait dû tenter M. de Talleyrand, et c’est alors sans doute qu’il montra tant de bienveillance aux Hollandais. Quant au gouvernement français, pourquoi le rendre responsable des fantaisies du vieux diplomate ? Toute la conduite du roi, toute la politique de Casimir Perier proteste contre un pareil soupçon. M. de Talleyrand, s’il eût pu confier ces choses à un ami sûr, lui aurait dit, je n’en doute point, ce qu’il écrivait à Mme de Dino, au sujet de la ratification russe : « Je n’en parle pas à Paris parce que l’on me donnerait des instructions, et que je veux agir sans en avoir[1]. »

Il arrive pourtant une heure où les combinaisons particulières et cachées, fussent-elles l’œuvre d’un Talleyrand, doivent s’évanouir devant la politique ouverte et déclarée de l’état. Talleyrand, qui dès le premier jour avait désiré une Belgique indépendante et neutre sous un roi constitutionnel, n’eut pas de peine à reprendre ce programme et à seconder par la suite tous les efforts du roi Léopold. En somme, quand on embrasse l’ensemble de la question belge, tous ces détails disparaissent, on ne doit se souvenir que de l’action principale et des résultats décisifs. Il faut répéter alors ces fortes paroles de M. Mignet, dont Stockmar, avec sa partialité habituelle, n’a pas tenu le moindre compte : « Dans ce grave moment, où il s’agissait de savoir si la cause populaire pourrait triompher en France et même s’étendre en Europe sans ramener la guerre, M. de Talleyrand, regardant la paix comme utile aux progrès réguliers de la liberté renaissante, aida puissamment à son maintien. Nommé ambassadeur en Angleterre, il alla reprendre pour ainsi dire les grands

  1. Cette lettre fait partie de la riche collection d’autographes qui appartenait à notre collaborateur M. Rathery, conservateur sous-directeur adjoint à la Bibliothèque nationale, dont la perte est si vivement regrettée.