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dans les mers tropicales, perforées et percées « comme des rayons de miel : » la Compagnie des lieux inconnus voulut épargner cette épreuve à ses bâtimens. Elle les fit doubler de minces lames de plomb. Artillerie, munitions, armes de toute espèce, rien ne leur fut refusé de ce qui pouvait les mettre en état de faire sur les côtes de Chine bonne figure. Quant aux vivres, on en calcula l’approvisionnement sur la durée probable de la campagne. Cabot supposait qu’on n’arriverait pas avant six mois au Cathay ; il y faudrait peut-être hiverner ; on emploierait six autres mois à opérer le retour. Il était sage de fixer à dix-huit mois au moins la quantité de vivres embarqués. Le conseil ne lésina pas sur cet article ; malheureusement il ne suffit pas d’entasser du biscuit et des salaisons dans la cale ; il faut que ces provisions s’y conservent. Le déchet fut grand dès les premiers jours, et le mécompte qui en résulta ne fut probablement pas étranger à la catastrophe.

Il ne s’agissait plus que de donner un chef à l’expédition. Sébastien Cabot ne pouvait prétendre à la conduire en personne. Il devait avoir alors plus de soixante-seize ans, puisque nous avons déjà signalé sa présence à Bristol en 1477 et que nous l’avons vu diriger la campagne de 1498. Se fût-il d’ailleurs trouvé d’âge à s’engager dans un nouveau voyage de découvertes, qu’il n’est pas très certain qu’on ne lui eût pas adjoint cette fois encore un chevalier anglais. Dans ces sortes de campagnes, il faut bien distinguer le commandement militaire du commandement maritime. L’officier que le souverain a pourvu d’une commission est « le capitaine ; » celui que la compagnie investit du soin de préparer et de manœuvrer le navire s’appelle « le master » ou « le maître. » Au capitaine appartient la responsabilité de l’expédition, et par conséquent le pouvoir suprême. « L’amiral » est le premier capitaine, en d’autres termes, « le capitaine-général » de la flotte. Le second capitaine prend le titre de « vice-amiral. » Ce sont là du reste des fonctions essentiellement temporaires ; elles n’ont jamais eu que la durée de la campagne. Quant au « pilote, » il ne commande rien ; il répond de tout, puisque c’est à lui que se trouve la plupart du temps dévolu le soin « de donner la route. » Le maître et le pilote ont peu de chose à faire quand l’escadre a pour chef un Christophe Colomb ou un Magellan. Leur tâche garde plus d’importance si ce chef s’appelle sir Thomas Pert, Cortès, Albuquerque ou Vasco de Gama.

Le commandement d’une expédition au Cathay était assurément de nature à tenter l’ambition de la jeune noblesse qui entourait le trône d’Edouard VI. Plus d’un personnage complètement étranger au métier de la mer n’hésita pas en effet à se présenter. Sir Hugh Willoughby, chevalier-baronnet, originaire de Riseley dans le comté de Derby, l’emporta sur tous ses concurrens. Sa haute stature, son