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familières en revanche aux pilotes du nord dont le suprême exploit consistait à passer des Orcades aux Shetland, des Shetland aux Féroe, des Féroe en Islande[1]. Le fauconnier ne se contente pas de faire tomber le chaperon des yeux du gerfaut. A l’oiseau impatient, il désigne du doigt la proie lointaine et, par ses cris, l’excite à déployer toute son envergure. Tel fut à cette époque le double rôle d’un des compatriotes de Christophe Colomb vis-à-vis des marins anglais. Jean Cabot, chevalier aux éperons d’or, — miles auratus, — était né aux environs de Gênes. Il ne devint citoyen de Venise qu’à partir de l’année 1476, en vertu de lettres patentes qui lui furent octroyées par le sénat[2]. La plupart des gentilshommes italiens s’adonnaient à cette époque au commerce. Cabot alla fonder un établissement commercial à Bristol. Il y arriva en 1477 avec sa femme et ses trois enfans, Louis, Sébastien et Sanche. Qui disait commerçant, disait au XVe et au XVIe siècle voyageur. Ce négociant italien, que le soin de ses affaires avait plus d’une fois conduit des bords de l’Adriatique aux terres du Soudan d’Égypte, devint en Angleterre le père de la navigation hauturière. On n’a pas encore exactement mesuré l’étendue des découvertes accomplies par les navigateurs qui partirent de Mayorque ou de Dieppe longtemps avant que l’écuyer du prince Henri fût revenu du cap Bojador, mais on peut affirmer sans crainte que les marins anglais, privés du concours de la science italienne, auraient difficilement atteint les rivages du Nouveau-Monde. Nous trouvons, dès l’année 1480, trois ou quatre navires de Bristol, occupés à la recherche des îles fabuleuses de Brasil, de Saint-Brandan, d’Antilia. Qui avait été l’instigateur de ces entreprises ? Tout porte à croire que ce fut Jean Cabot. Qui se chargea de les diriger ? Celui-là même qui les avait conçues, s’il est permis de reconnaître le savant cosmographe génois dans cette simple mention : magister navis scientificus marinarius totius Angliœ.

Suivant les idées universellement admises au moyen âge, Cabot ne pouvait poursuivre qu’une île se rattachant par d’invisibles racines à quelque continent voisin. En dehors de cette condition, l’esprit ne concevait que des masses éternellement errantes au sein d’un océan alors jugé sans fond. Les Açores étaient un rameau des montagnes de Cintra ; Porto Santo et Madère se rattachaient à la chaîne des Algarves ; l’île d’Antilia devenait le prolongement naturel de l’Irlande. Ce mystérieux archipel, annoncé par Toscanelli, ne cessait pas cependant de fuir devant les navires de Bristol. En 1491, en 1492, en 1493, on ne l’avait pas encore trouvé. Jean Cabot poussa la poursuite jusqu’à

  1. On compte, des Orcades aux Shetland, 15 lieues, — des Shetland aux Féroe, 52 lieues, — des Féroe en Islande 90 lieues.
  2. On peut consulter à ce sujet le remarquable travail de M. d’Avezac intitulé les Navigations Terre-Neuviennes de Jean et Sébastien Cabot, Paris 1869.