Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/759

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avantage, et les sommes employées à la soutenir malgré le cours naturel du commerce sont des impôts mis sur la nation en pure perte. » J.-B. Say a exprimé la même pensée avec une heureuse concision quand il a dit : « Fabriquer n’est pas produire. »

Mais, reprennent les protectionistes, si les droits protecteurs étaient supprimés, les industries protégées ne pourraient subsister, et alors la masse entière des ouvriers de ces industries serait réduite à la mendicité et tomberait à la charge de la société. Nous répliquerons que, à ce compte, la protection agirait à la façon d’une taxe des pauvres, et celle-ci existerait non-seulement dans l’intérêt des classes ouvrières, mais aussi jusqu’à un certain point dans l’intérêt des manufacturiers, ce qui placerait ces derniers dans une position peu flatteuse. Ils ont l’âme trop élevée pour accepter rien de pareil. Sans insister sur ce point, arrêtons-nous seulement sur cette assertion que, sans la protection, les industries protégées succomberaient et les ateliers se fermeraient ; elle est toute gratuite. En fait, l’expérience l’a démentie cent fois pour une, et nous en avons cité quelques exemples qu’il serait aisé de multiplier indéfiniment. Le fait est que, dans la grande majorité des cas, les industries protégées peuvent être amenées à se passer de protection et à réaliser, dans cette position nouvelle, les mêmes profits qu’auparavant, pourvu qu’on leur donne quelque temps pour se perfectionner et qu’on rende le perfectionnement obligatoire en leur faisant sentir l’aiguillon de la concurrence étrangère.

Quant aux ouvriers, nous avons rapporté quelques-unes des raisons pour lesquelles la liberté du commerce doit leur être profitable. Et l’expérience dit-elle que dans les pays où l’on a introduit en totalité ou en partie la pratique de la liberté du commerce ils en soient devenus plus malheureux ? L’ouvrier anglais de 1876 a-t-il moins de bien-être que celui de 1840, ou en a-t-il davantage ? L’ouvrier français a-t-il pâti dans les années qui ont suivi 1860 plus qu’auparavant ou moins ? L’ouvrier belge, l’ouvrier. suisse, ont-ils à se plaindre d’habiter des pays où le législateur est converti à la liberté du commerce, ou ont-ils à s’en applaudir ? Partout l’adoption partielle ou entière de la liberté des échanges internationaux a été un bienfait pour l’ouvrier.

S’il y a des industries qui, quelque effort qu’en fassent les chefs, quelque intelligence qu’ils déploient, ne puissent se soutenir, il est pénible de le dire, la seule faveur qu’elles soient fondées à demander, c’est du temps pour liquider. Il arrive en tout pays et en tout temps que des établissemens naguère bien situés et florissans perdent leurs avantages, parce que d’autres ont rencontré des circonstances ou des localités plus favorables, et alors ils recourent à