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temps indispensable pour que tout établissement reconnu viable soit porté au point de perfectionnement où il s’accommoderait d’un nouvel ordre de choses salutaire pour la société et qu’aucune puissance ne saurait écarter. Faut-il cinq années, en faut-il dix pour franchir la distance qu’il reste à parcourir ? Qu’à cela ne tienne ; mais il devrait être entendu que, pendant ce laps de temps, nous nous acheminerions par degrés vers un tarif des douanes à peu près calqué sur celui qui régit aujourd’hui les échanges internationaux de l’Angleterre, de sorte qu’à l’expiration des dix années ce tarif nouveau fût en pleine vigueur.

Il ne peut s’agir de temporiser à ce point qu’au lieu d’atteindre. le but dans le délai d’une dizaine d’années, on se laisse attarder en ajournant les réformes de grande portée pour n’en faire, par le renouvellement des traités, que d’insignifiantes. Ce serait méconnaître en même temps que l’intérêt général de la société l’intérêt du grand nombre, faute grave de nos jours, sous quelque forme de gouvernement qu’on soit ; mais le cas prend un nouveau degré de gravité dans un pays où les institutions politiques consacrent franchement le régime républicain sur la base du suffrage universel.

Il y a là un motif péremptoire pour remplacer par la liberté du commerce, dans un délai qui ne soit pas indéfini et qui soit fixé dès à présent, les dispositions protectionistes qui fourmillent dans, notre tarif douanier. L’effet direct et immédiat de la protection prétendue est d’instituer quelque chose qui est infiniment peu républicain, à savoir des redevances au profit de certains groupes de citoyens et à la charge des autres classes, redevances qui se traduisent par de grosses sommes d’argent, indépendamment des entraves que ce régime suscite à la liberté du travail, ce qui est une autre manière de ravir des trésors à la société et de léser l’intérêt légitime du grand nombre, dont le travail est l’unique ressource.

Si par le moyen des droits de douane on enchérit le fer de 50 francs par tonne, et les filés de coton d’une somme double par 100 kilogrammes des numéros fins, c’est bel et bien un impôt que les Français sont contraints de payer aux maîtres de forges et aux filateurs de coton. Une taxe de ce genre est peut-être encore plus difficile à justifier que les redevances établies dans l’ancien régime en faveur de la noblesse féodale, car, en retour, les nobles, avaient des obligations particulières qui n’étaient pas sans danger pour eux. Ils se consacraient à servir le roi, ce, qui dans ce temps-là signifiait le pays, sur les champs de bataille, et se faisaient bravement tuer s’il le fallait. Or quelles obligations spéciales les maîtres de forges et les filateurs de coton ont-ils contractées de plus que le reste de la nation ? Pourquoi le