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ou de la suppression de la prohibition, l’industrie nationale, cédant à la nécessité et remplissant enfin son devoir, change son matériel et perfectionne ses procédés. Grâce à ces soins, elle produit à plus bas prix et soutient ainsi le choc de l’étranger. Par la réduction des prix, la consommation augmente, et il y a place sur le marché pour les produits du dedans et pour une certaine quantité de produits du dehors. Si une nouvelle réduction des droits suit la première, le même effet se répète. Le progrès de l’industrie indigène permet bientôt à celle-ci de se livrer, sur de notables proportions, à l’exportation qui jusque-là lui était inconnue. Cette circonstance donne naissance à une production nouvelle, et de plus, en diminuant les frais généraux, elle procure de nouvelles facilités pour tenir tête à l’étranger sur le marché national. Les choses se sont passées exactement comme nous le disons à la suite des remaniemens libéraux qu’a subis le tarif des douanes de l’Angleterre depuis trente ans, et celui de la France depuis quinze. Chez nous, après qu’on eut, en vertu des traités de commerce de 1860 et années suivantes, remplacé par des droits le régime absolument prohibitif existant auparavant sur les tissus de laine pure ou mélangée, il en est entré, de l’étranger en France. A-t-on vu alors diminuer la production de Reims, de Roubaix, d’Elbeuf et des autres villes pratiquant les industries similaires ? Pas le moins du monde. Depuis 1860, ces villes ont plus que doublé leur fabrication et fait d’excellentes affaires. Le premier mouvement des Roubaisiens avait été de croire qu’ils seraient dévorés par Bradford : au contraire, ils ont avantageusement placé à Bradford même des masses de leurs tissus. Notre production en articles de coton s’est-elle restreinte ? Non ; elle a augmenté, et ici se place une observation qui n’est pas sans portée : l’augmentation eût été bien plus forte, si les nouveaux droits sur les filés de coton n’eussent encore été exorbitans. De même, si l’on eût appliqué dans un esprit moins restrictif la disposition légale autorisant les importations temporaires, qui date de 1836, époque où dominaient cependant les idées protectionistes. Elle permet d’introduire en France des matières ayant reçu une certaine façon, à charge de les réexporter en totalité, dans un délai convenu, après leur avoir donné une façon nouvelle. Par là, on peut remédier à la cherté de certains articles de production française à demi fabriqués, qui servent de matière première à d’autres industries, et procurer du travail à nos ateliers sans disputer plus qu’auparavant le marché français aux produits français complètement fabriqués. L’importation temporaire aurait pu être étendue, moyennant quelques précautions, au coton filé, de manière à faciliter la fabrication en France d’articles en coton pour l’exportation ; elle ne l’a jamais été, quoique déjà sous la royauté de 1830