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Mais on fit au tarif des douanes de la république et de l’empire d’autres additions bien plus répréhensibles, je pourrais dire bien plus coupables, que telle ou telle prohibition de détail. Le pays était ruiné par la guerre et l’invasion. Pour combler ses maux, il avait eu en 1817 la disette, causée par la misérable récolte de 1816. Dans quelques provinces, l’hectolitre de blé était monté à 65, 70, 73 fr., et les paysans avaient été réduits à manger de l’herbe, ainsi que M. d’Argenson, membre de la chambre des députés, l’affirma et le prouva à la tribune dans le langage d’un patriotisme indigné. Mais on considéra ces faits si douloureux comme des incidens sans conséquence. Les têtes politiques de l’époque étaient pleines à une idée fixe dont on voulait faire une institution politique : c’était de créer de toutes pièces une aristocratie territoriale formée des grands propriétaires, bien dotée, aux dépens du public, par les hauts prix qu’elle tirerait de ses bois et de ses denrées et autres récoltes, blés, bestiaux, vins, huiles et graines oléagineuses, laines, chanvre, garance, etc. On se flattait de susciter ainsi en France le pendant de l’aristocratie anglaise, à laquelle avaient été conférés, par le moyen des droits de douane, des avantages semblables, et qui en retour produisait des hommes d’état et servait de boulevard au trône.

Un des premiers soins de la chambre des députés, aussitôt qu’on se fut quelque peu organisé et immédiatement à la sortie des cruelles souffrances éprouvées par la population en 1817, fut, qui le croirait ? de s’efforcer de tenir le blé dans un état de cherté permanente. Pour atteindre ce but, on pensa, ce qui était trop vrai, qu’un droit frappé sur les blés étrangers à la frontière serait d’une grande vertu, et en conséquence on vota un droit qui atteignait toutes les céréales et les farineux analogues, en se réservant de l’élever plus tard, si l’on n’avait pas réussi du premier coup dans ce triste dessein ; et en effet on n’y manqua pas en 1821.

Du blé, on passa aux autres denrées alimentaires usuelles, que la première république et l’empire avaient toujours ménagées au point de les affranchir de droits ; puis on s’attaqua à toutes les matières premières fournies par l’agriculture, surtout à la laine. A l’égard des fers, on n’avait pas attendu jusque-là pour en faire monter le prix dans l’intérêt des propriétaires de forêts. Dès 1814, le droit de douane sur la sorte la moins taxée des fers en barres fut, de 44 francs, porté à 165 francs par tonne (1,000 kilogr.), et la camarilla, car dans ce cas particulier ce fut du cabinet du roi que partirent les ordres, se donna le malin plaisir d’imposer au ministre des finances, le baron Louis, qui était libre-échangiste, la désobligeante commission d’apporter le projet de loi aux chambres et d’en