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l’ordre social et politique établi. Un ensemble de mesures favorables à l’avancement du grand nombre et à l’amélioration de son sort, telles que la surveillance exercée sur les ateliers au point de vue de l’hygiène, les précautions imposées pour la sûreté des ouvriers dans des industries dangereuses, telles que celle des mines, la libéralisé avec laquelle on répand l’instruction, a contribué pour une bonne part à cette conciliation des classes pauvres. On doit reconnaître aussi que les concessions extrêmement étendues faites par le parlement aux ouvriers pour l’organisation de la défense de leurs prétentions légitimes et même de celles dont la légitimité serait douteuse, n’y a pas été étrangère. Ces gages de sympathie et de confiance du parlement concernent surtout les associations ouvrières appelées trades’ unions. On se rappelle qu’à la suite d’actes criminels, parmi lesquels il y avait des assassinats que ces associations avaient provoqués et payés, on s’en était fort effrayé. Les tribunaux les avaient traitées avec sévérité et rigueur, au point d’en nier l’existence légale, et beaucoup de bons esprits n’ont pas cessé d’en redouter l’influence. Après avoir tenté de les comprimer, on a adopté la règle, diamétralement opposée, de leur laisser la plus grande latitude, non-seulement dans la faculté de se former, d’exister, de se manifester et de tenir des réunions publiques et privées, mais aussi dans leurs grèves et autres agissemens, ainsi que dans la destination à donner à leurs fonds, fût-elle de favoriser les grèves les unes des autres. On leur a accordé en un mot l’application du principe du free trade, ou liberté générale des transactions, comme si tout ce qu’elles font était ou pouvait être conforme à l’intérêt général de la société. La seule chose qui leur soit interdite est la violence matérielle. Jusqu’à présent, on ne parait pas avoir eu à regretter de leur avoir accordé une dose aussi inusitée de liberté.


III. — HEUREUX RESULTATS DE L’EXPERIENCE SUR LE CONTINENT. — LA FRANCE.

Dès les premières années, la réforme commerciale tentée par le gouvernement anglais avait, par ses proportions et par ses résultats, frappé l’Europe, que cette expérience, alors jugée fort délicate, rendait très attentive. La solennité des débats du parlement, pendant la session de 1846, et la reconnaissance hautement affirmée du principe de la liberté du commerce qui en sortit, émurent les hommes d’état de tous les pays. De ce moment, on était fondé à penser que le principe est un des plus féconds, qu’appliqué successivement, avec une intelligente modération, ce qui n’exclut pas la persévérance et la marche en avant dans les desseins, il donne un