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la diminution des droits ne reprit qu’à l’ouverture de la session du parlement en 1842, sous l’action de Robert Peel, qui était rentré aux affaires en novembre 1841, après en être resté éloigné pendant neuf ans, et dès lors il eut le caractère de vigueur réfléchie qui est propre à la nation anglaise.

À ce moment, voici quels étaient les traits principaux du tableau que l’Angleterre offrait à un spectateur intelligent : le pays était en détresse. On y observait un frémissement politique et social dont un gouvernement prévoyant avait lieu de s’inquiéter. L’industrie était languissante. Les classes ouvrières, mécontentes de ce que le travail était devenu précaire, l’étaient plus encore d’être sacrifiées à la propriété territoriale, en faveur de laquelle on perpétuait une législation dont la pensée intime était de raréfier sur le marché national les subsistances afin de les rendre plus chères. Les grands manufacturiers, entravés dans leurs opérations d’exportation par les droits prohibitifs qu’ils rencontraient chez les autres peuples, en représailles souvent des droits excessifs qui excluaient le blé et le bétail étrangers du territoire britannique, ne réclamaient pas moins que les ouvriers contre les privilèges que s’était fait attribuer la grande propriété. On se rappelle que le principe de la loi sur l’importation des céréales, votée en 1815, avait été de maintenir au-dessus de 34 francs, prix de famine, l’hectolitre de blé à l’intérieur du Royaume-Uni. Au-dessous de ce prix, le blé étranger était frappé de prohibition. Cette rigueur extrême avait été tempérée en 1822 et 1828 ; mais l’esprit de la législation douanière était toujours d’enchérir notablement cette denrée qui est la base de l’alimentation publique. Quant au bétail, il était prohibé. L’irritation était telle parmi les classes lésées que les prérogatives constitutionnelles de la pairie, regardée comme le boulevard de ces monopoles, étaient menacées. La situation financière de l’état était troublée à ce point, que le chancelier de l’échiquier (ministre des finances) faisait de vains efforts pour avoir un budget où la recette balançât la dépense, quelque réduite que fût celle-ci. Pendant la session qui précéda son retour au ministère, le grave Robert Peel avait pu railler le chancelier de l’échiquier whig, aux applaudissemens du parlement, en le comparant à un pêcheur aux abois qui jetait sa ligne autour de lui, dans tous les sens, sans pouvoir prendre à son hameçon un budget en équilibre.

Robert Peel eut le mérite de comprendre aussitôt que la cause profonde du mal dont l’Angleterre était affectée consistait dans la stagnation du travail, compliquée de la cherté artificielle des subsistances. Ne croyant pas que le mouvement fût venu pour lui de donner explicitement raison à Richard Cobden, à John Bright et à