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de subsister et de rendre son existence de moins en moins précaire et pénible, ou en d’autres termes pour le succès de l’industrie humaine, l’intelligence des individus n’atteint la fécondité dont elle est capable qu’autant qu’on lui a départi ou qu’elle a conquis le genre de liberté que comporte l’entreprise elle-même.

Cette liberté spéciale est la liberté du travail. Certes l’instruction, soit générale, soit professionnelle, la régularité de la vie chez toutes les classes dont se compose l’armée de l’industrie, l’assiduité à la besogne, l’esprit d’économie, sont d’une grande efficacité pour le progrès de l’industrie et la formation de la richesse ; mais la liberté du travail en a une immense. Impossible à un peuple de développer grandement sa richesse s’il est privé de cette liberté, et, plus il la possède, plus il marche vite et bien dans cette voie. C’est une liberté pour laquelle les peuples civilisés sont parfaitement mûrs aujourd’hui et qu’il faut leur reconnaître sans marchander. Un peuple à qui on la refuserait serait hors d’état d’accroître aussi vite et aussi bien que les autres sa richesse. Celle-ci n’a pas seulement pour effet de procurer aux individus la jouissance très légitime du bien-être ; sous beaucoup de rapports, elle est la matière première de la puissance de l’état.

La liberté des échanges internationaux n’est pas à elle seule toute la liberté du travail. Il s’en faut de beaucoup. Celle-ci a des proportions bien plus vastes, c’est une sphère qui englobe une grande variété de franchises. Les Anglais ont à ce sujet une expression très compréhensive, le free trade, qui, outre la liberté des échanges internationaux, comprend le libre exercice de toutes les industries et de tout autre genre de labeur pratiqué par les simples citoyens. Le free trade implique, autant que possible, l’abolition des dispositions restrictives par lesquelles en d’autres temps on avait cru devoir circonscrire l’initiative individuelle et emmailloter la liberté des professions. Le free trade embrasse la liberté, aussi complète qu’il se peut, des transactions, sous la responsabilité des contractans, car la liberté véritable a pour accompagnement obligé la haute garantie de la responsabilité.

Mais la liberté des échanges internationaux a ce caractère que, si on l’inaugure quelque part avec le ferme propos qu’elle ait son plein effet, il faut lui donner pour escorte l’ensemble des mesures qui sont comprises sous la dénomination générale du free trade. Lorsque le parlement britannique eut, en 1846, arboré le principe de la liberté des échanges, aussitôt, comme par une pente naturelle, il fut conduit à voter une quantité de lois nouvelles par lesquelles d’une part on a fondé des institutions nouvelles, et d’autre part on a aboli beaucoup de règles consignées dans des lois plus