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ici n’a oublié dans le fameux procès Praslin. C’est la jeune institutrice incriminée à cette époque qui vient de mourir à New-York presqu’en odeur de sainteté. Son mari, le révérend Henry Field, qui s’est lui-même distingué dans les lettres, n’a pas résisté au désir de joindre quelques pages tombées de sa plume au tribut d’admiration que toute la presse vient de payer à sa mémoire : « Elle n’a pas de semblable au monde, » écrit avec enthousiasme Mmo Beecher-Stowe, en exaltant la solidité du mérite de son amie.

Quel que soit l’attrait des notes de Mme Field sur la France, les lecteurs étrangers chercheront surtout dans ce recueil la clé d’un caractère intéressant par les circonstances tragiques auxquelles il s’est trouvé mêlé. L’équilibre que Mme Field, née de Luzy, sait toujours garder entre son pays natal et sa patrie d’adoption donne avant tout la preuve d’une habileté profonde unie au don de plaire et de concilier.

Tandis que The French at home et Home sketches in France étaient publiés à New-York, un troisième ouvrage sur le même sujet paraissait en Angleterre sans nom d’auteur, — un gros volume celui-là et plus lourd que curieux. Les prétendus renseignemens qu’il renferme sont donnés par une personne qui dit avoir habité longtemps la France et la considère comme une seconde patrie ; comment se fait-il donc que ses jugemens et ses anecdotes sur les enfans, les domestiques, la nourriture, l’ameublement, le langage, etc., affectent si souvent le ton des petits journaux et les exagérations de la caricature ? Qui croira par exemple qu’un valet de grande maison ait jamais osé dire à son nouveau maître enrichi dans le commerce : « Je ferai observer à monsieur, avant de prendre la direction de sa maison, qu’habitué au grand monde je ne saurais annoncer un visiteur non titré. Par conséquent, monsieur aura la bonté de comprendre, quand j’annoncerai tout le monde : M. le comte ou M. le marquis, même s’il s’agit du bottier ou du beau-père de monsieur. » C’est là un écho du Charivari. De même certains traits d’éducation française paraissent empruntés sans scrupule aux Enfans terribles de Gavarni. On ne sera pas fâché du reste d’apprendre à Paris que la pureté de l’accent français est conservée dans la seule province de Touraine, où les petits villageois de cinq ans sauraient donner des leçons aux artistes du Théâtre-Français, aux orateurs. Partout ailleurs, c’est du patois.

De pareils paradoxes pourraient être comiques, s’ils n’étaient noyés dans de grandes tirades de morale, d’économie, d’hygiène, etc. Pour apprécier l’accent sincère et tout personnel du livre de M. Rhodes, si finement exact et précis, et même le charme moins original, mais réel cependant, des lettres de Mme Field, il faut avoir lu la compilation indigeste qui s’intitule French home life.


Le directeur-gérant, C. BULOZ.