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devine à sa connaissance profonde de tout ce qui concerne la foi de ses premières années. Tout en désavouant certaines pratiques comme superstitieuses et idolâtres, elle déclare aimer encore nos vieilles cathédrales, les chants et les pompes du rite romain. A propos du père Hyacinthe, qu’elle a entendu prêcher à Notre-Dame et dont l’éloquence l’a électrisée, elle reconnaît que, pour crier anathème aux vanités de ce monde, le prêtre catholique a une toute autre autorité que le ministre protestant, une autorité qu’il puise dans l’exemple que ses vœux le forcent à donner d’une abnégation, d’un renoncement absolus. Il n’a pas de liens domestiques, il n’a pas de foyer ; sa vie est un sacrifice quotidien, et quand il parle à la foule de crucifier les instincts les plus irrésistibles du cœur, il en a le droit, ayant fait en lui-même la solitude et la désolation. Ce jugement est curieux dans la bouche d’une ardente presbytérienne mariée à un ministre de la religion réformée ; mais ce n’est pas tout. Si l’on entrevoit la catholique derrière les professions de foi protestantes dont elle n’est pas avare, il est non moins facile de reconnaître sous l’Américaine une Française passionnée pour les gloires ! de son pays.

Tout en réclamant une plus grande diffusion de l’instruction secondaire, Mme Field rend pleine justice à notre enseignement supérieur et à nos grandes écoles, auxquelles elle ne connaît pas de rivales. Sans doute elle professe les purs principes républicains de la libre Amérique, mais elle se plaît en même temps à rendre hommage aux souvenirs qu’elle conserve de l’ancienne royauté ; jamais portraits plus flatteurs n’ont été tracés des princes de la famille d’Orléans. Après avoir démontré que la noblesse tend à s’effacer avec les préjugés dont elle s’est trop longtemps nourrie, cette plume, empressée à guérir les blessures qu’elle fait, peint avec une certaine vénération les vieilles demeures historiques, l’étiquette dont s’entourent les noms illustres. Que de bonhomie, que l’urbanité chez les plus grands seigneurs, que de grâce, jointe à cet orgueil qu’on est forcé de condamner, que de vertus, même ! « N’allez pas croire, dit Mme Field, n’allez pas croire aux marquises de Balzac et d’Alexandre Dumas ! Elles sont taillées sur le modèle de leurs dames aux camélias et autres anonymes ! » — « Dans la noblesse de robe, en particulier, où souvent le titre est dédaigné par ceux qui auraient le droit de le porter, il y a bon nombre d’hommes et de femmes dont on peut toujours dire que les uns sont sans pour et les autres sans reproche. » L’auteur des Home sketches in France a vécu longtemps au sein de cette aristocratie dont elle explique la décadence ; avec tant de ménagemens délicats. Avant de se nommer Mme Field, elle était Mlle de Luzy ; avant de partir pour les États-Unis, où son esprit, ses talens et ses vertus, pour parler le langage unanime des journaux américains, lui avaient fait une place unique à la tête d’un groupe de célébrités théologiques, artistiques et littéraires, elle avait joué un rôle que personne