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ESSAIS ET NOTICES.

LES FRANÇAIS JUGÉS À L’ÉTRANGER.

I. The French at. home, by Albert Rhodes, Now-York. 1S7B. — II. Home sketches in France, by the late mistress Henry Field, New-York 1875. — III. French home life, Blackwood, Edinburgh and London 1873.


Après les récits de voyage qui nous transportent dans des régions inconnues, il n’y a rien de plus intéressant peut-être que le jugement d’un étranger sur notre propre pays, qu’il voit avec d’autres yeux que les nôtres et où souvent il fait des découvertes dont nous ne serions pas capables, habitués que nous sommes à ce qui le frappe comme une nouveauté. Le petit livre qui vient de paraître en Amérique sous ce titre, The French at home, rappelle, bien qu’il embrasse moins de sujets, ces Notes sur Paris publiées naguère par un écrivain habitué à de plus graves travaux. Le pseudonyme de Graindorge ne réussissait pas, on s’en souvient, à déguiser la plume du penseur et du philosophe qui, pour avoir le droit de juger toutes choses autour de lui avec plus de liberté, s’annonçait, par un procédé renouvelé du Huron ingénu, comme l’associé commanditaire d’une maison de porc salé-à Cincinnati, Ses statements of facts à propos des différentes classes de la société parisienne sont restés de petits chefs-d’œuvre en leur genre. M. Rhodes a sur Graindorge l’avantage d’être un véritable Américain, naturellement pénétré des opinions, des principes, des idées préconçues qu’affectait avec tant d’art son devancier. Il possède, sans les chercher, le flegme imperturbable, le dédain de l’enthousiasme et des phrases, l’esprit positif, l’ironie un peu froide, mais mordante cependant. Il ne prétend tirer aucune moralité de ses observations ; il regarde, puis il raconte ce qu’il a vu pour instruire en les amusant ses compatriotes, auxquels il ne ménage pas plus les vérités qu’à nous-mêmes ; et les impressions que sa plume incisive note brièvement, comme au hasard, ne sont pas celles d’un voyageur qui passe. Des fonctions consulaires et diplomatiques ont permis à M. Rhodes de séjourner en Europe longtemps et à plusieurs reprises ; la France l’a retenu, attaché, il la connaît bien, et certains passages de son livre semblent écrits par un Parisien de race, aucun repli de notre vie sociale, de nos mœurs familières ne lui étant étranger. La langue même n’a pas de secrets pour lui. Son esprit net aime cette précision du français qui par sa clarté est la langue de la diplomatie et qui est aussi celle de la conversation, grâce à un certain tour épigrammatique incomparable, à des euphémismes qui lui permettent de rendre les moindres nuances. « Chaque peuple, dit