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six suffrages dans le sénat ! Résultat digne de cette malfaisante campagne entreprise pour agiter les passions dans un intérêt d’élection, au risque de paraître absoudre la guerre civile poursuivie devant l’ennemi. La discussion a-t-elle du moins justifié le bruit qu’on avait fait ? Elle a été instructive sans doute à un certain point de vue, elle n’a point tardé à s’épuiser au milieu de la lassitude visible des auditeurs. M. Raspail a parlé, M. Clemenceau et M. Marcou ont parlé dans la seconde chambre, M. Victor Hugo a parlé au sénat. La commune a eu ses avocats ; on a plaidé les circonstances atténuantes, on a fait le procès de la répression en démontrant que manifestement Versailles, lui aussi, avait quelque peu besoin d’être amnistié. On a remis au jour tous les sophismes radicaux, il y a même un député qui a trouvé une manière ingénieuse, surtout édifiante pour la morale publique, de fixer la distinction entre les crimes dits politiques et les crimes de droit ordinaire qui se rattachent à la commune. Assurément le massacre des otages est un abominable crime, et celui-là ne peut pas être rangé sous l’étiquette politique. Il n’a pas droit à l’amnistie ; mais pourquoi cela ? Parce que le massacre des otages n’était pas utile au service de la commune. Ah ! s’il avait été utile, on verrait, il faudrait lui restituer le caractère politique, et alors il aurait des droits à l’amnistie ; puisqu’il était inutile, on le répudie et on le livre à la justice !

Il a fallu entendre tout cela avec bien d’autres choses, et en vérité le seul moment sérieux de cette discussion est celui où M. le président du conseil a cru devoir, avec son ferme bon sens, dans son vigoureux langage, dissiper toutes les fantasmagories révolutionnaires et rétablir devant la chambre les plus simples, les plus inviolables principes de la justice, de l’honneur et de la politique. Quant à M. Victor Hugo, il a eu l’avantage de parler tout seul, sans contradicteurs, au milieu d’un sénat silencieux qui lui a répondu en allant au scrutin. Il a récité son monologue retentissant comme un héros des Burgraves, et lui aussi il a eu sa manière délicate, surtout heureuse, d’interpréter l’amnistie qu’il sommait le sénat d’accepter. Généreusement il l’a présentée comme un acte de pardon mutuel : pardon touchant entre la société française, la patrie française, et ceux qui l’attaquaient les armes à la main, qui tentaient de la déshonorer sans se demander s’ils ne s’exposaient pas à la laisser le lendemain avilie et impuissante aux mains de l’étranger ! M. Victor Hugo ne s’arrête pas devant ces considérations, il va droit son chemin, il veut arriver au grand morceau, à la fanfare pour laquelle on dirait que tout le discours a été composé. Le grand morceau, l’air du proscrit, du solitaire de Hauteville, c’est l’évocation du 2 décembre, le parallèle du coup d’état de 1851 et de l’insurrection de 18711 Seulement l’air est conçu de telle sorte qu’on ne sait plus bien qui l’orateur veut amnistier, qui il veut condamner. Étend-il l’amnistie