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par faiblesse, elle laisse durer un incendie qui peut inspirer de la crainte à ses voisins en suscitant des complications incessantes, et la situation qu’elle s’est créée est de nature à provoquer des représentations, même si l’on veut des mesures de sûreté. Telle qu’elle est cependant, elle existe ; « l’homme malade » n’est pas mort, sa succession n’est pas ouverte, et il est encore moins périlleux, moins difficile de l’aider à vivre en se réformant, que de le jeter dans le Bosphore pour se partager violemment ses dépouilles.

La Russie peut être flattée de mettre le dernier sceau à sa revanche des événemens de 1855, d’attester son ascendant, de reparaître aux yeux des populations dans l’éclat d’un protectorat traditionnel ; est-elle préparée à prendre le chemin de Constantinople, à braver toutes les conséquences d’un si profond ébranlement européen, d’une crise où elle ne tarderait pas à être abandonnée par ses alliés eux-mêmes ? A défaut d’une prise de possession directe, quel avantage aurait-elle à favoriser d’autres desseins, à précipiter une dislocation tout au moins prématurée ou à multiplier des principautés indépendantes ? L’Autriche aurait-elle l’imprévoyance ou la faiblesse de se jeter dans des aventures dont elle serait la première victime, qu’elle paierait d’abord certainement de ses provinces allemandes, qui la laisseraient démembrée, démantelée, même avec : des compensations, à la merci de la Russie et de l’Allemagne ? L’Allemagne elle-même est-elle donc tant pressée d’aider à la constitution d’un monde slave, de livrer la vallée du Danube à la Russie ? Voilà des provinces, des territoires, dont on croirait pouvoir disposer : sur quoi s’entendrait-on ? Ce qui est on ne peut plus vraisemblable, c’est que le jour où une crise pareille s’ouvrirait, elle mettrait immédiatement aux prises toutes les ambitions, tous les intérêts, elle provoquerait des déchiremens profonds, des coalitions imprévues.

Évidemment ces puissans alliés du nord doivent tenir à éviter ce qui les diviserait, en limitant leur action à ce qui les unit, et ce qui les unit, le comte Andrassy l’a déclaré devant les délégations autrichiennes, c’est la paix, une paix à laquelle leur puissance même est intéressée, — bien entendu une paix conciliée avec des concessions, des améliorations réelles, des garanties exigées de la Turquie et placées sous la sauvegarde de l’Europe ; mais si ce n’est que cela, sur tous ces points les puissances du nord n’ont pas d’autres intérêts que l’Angleterre, la France, l’Italie, et leur erreur est de se donner l’air de jouer à la prépotence, de paraître vouloir réduire les autres gouvernemens à un rôle consultatif. Qu’on se rende bien compte de ceci. Une question s’élève qui intéresse tout le monde ; cette question est réglée par le traité de 1856, qui est l’œuvre comme la garantie de tous les gouvernemens. Que fait-on ? Trois puissances seulement se réunissent, elles adoptent dans leurs délibérations restreintes des résolutions qui ne sont pas sans gravité,