Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/703

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sûrement un cadavre, » — tandis que, comme il est de notoriété, la peinture des Overbeck et des Cornélius respire toute l’ardeur de la vie, n’est-ce pas donner beaucoup à penser que de ne pas souffler un traître mot de la sculpture française ? J’ajoute qu’on aurait bien dû nommer ce très fin connaisseur. Ainsi de notre littérature : une fois glissée cette observation singulière « que la poésie française a pour le monstrueux et le vulgaire une prédilection insupportable au goût incorrompu de l’Allemagne, » j’aimerais assez, dans le seul intérêt du manuel, qui serait plus complet, et de la vérité, qui serait plus respectée, qu’on eût touché quelque chose en passant de la prose française. Il ne suffit pas de constater que depuis Louis XIV sa précision et sa clarté « superficielle » lui ont valu l’honneur de devenir le langage de la diplomatie. D’abord il y a six cents ans qu’elle était déjà « le plus délitable langage et le plus commun à toutes gens, » du moins au dire de Brunetto Latini, et puis on pouvait la comparer peut-être à cette prose allemande, toute raide encore, toute cassante, ankylosée dans ses constructions inflexibles, si vague en même temps, si libre dans le choix des mots et qu’il semble que chacun pétrisse à sa guise, comme une cire molle, à toujours incapable de consistance et de solidité. Hélas ! et si notre poésie, notre poésie contemporaine du moins, ne laisse pas de mériter souvent le reproche qu’on lui adresse, l’Allemagne a-t-elle bien le droit de le lui faire ? Le monstrueux ! qui donc l’a plus aimé que la poésie germanique ? et quant au vulgaire, qui donc, si ce n’est elle encore, s’avisa de vouloir agrandir le détail modeste de la vie bourgeoise jusqu’aux dimensions du cadre de l’épopée ? Nous aurons beaucoup profité le jour que nous romprons avec la superstition des littératures étrangères et que nous reviendrons au culte trop délaissé de nos traditions nationales. Peut-être alors les Allemands feront-ils à notre littérature le même honneur qu’à nos vins. C’est une ombre de supériorité que les Allemands veulent bien nous reconnaître encore. M. Hummel, passant à Dijon, oubliera volontiers qu’un Bossuet y naquit, un Lamartine à Maçon ; il n’a garde, passant à Meaux, d’oublier d’y mentionner un grand commerce de fromage de Brie, non plus qu’à Périgueux de pâtés de perdreaux truffés, « fameux chez les gourmets. »

Aussi bien nous sommes faits à ces aménités, et que cet autre proclame qu’il y a cette différence entre le Français et l’Allemand, « que le Français est un peuple qui parle et l’Allemand un peuple qui pense[1], » il n’importe, et ce ne sont que menus suffrages. Aujourd’hui le fort de la thèse est ailleurs, et c’est là, si je ne me trompe, l’inattendu, la nouveauté du livre de M. Hummel, j’entends la nouveauté, l’inattendu pour nous. C’est tout un art de grouper les chiffres, toute

  1. Marcus Schlichting, Erd-und Völkerkunde.