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Montes. « Nul peuple comme l’Allemand ne sent la force de ce mot, chez soi, daheim ; nul peuple n’a d’expression qui puisse traduire l’idée de l’amour allemand, Minne. » C’est pourquoi l’Allemagne est vraiment le cœur de l’Europe, et, « comme dans l’organisme le cœur a pour fonction de faire circuler à travers les membres un sang qui renouvelle les parties vieillissantes et fortifie les plus jeunes, ainsi l’Allemagne a pour mission dans l’histoire de rajeunir par la diffusion du sang germanique les membres épuisés de cette vieille Europe. » Les Allemands ont toutes ces vertus, ils en ont bien d’autres encore, et, quand ils ne les auraient pas, je voudrais qu’on les leur reconnût cependant « pour la beauté des choses qu’ils en ont dites et la justesse du raisonnement qu’ils en ont fait. »

Il va sans dire que les Français paient les frais de cette apothéose du Teuton. Soyons justes toutefois, et sachons à notre géographe quelque gré de n’avoir pas repris trop bruyamment le thème, — qui commence à s’user, — de la corruption et de l’immoralité françaises. Remercions-le de n’avoir pas dévoilé tout l’excès de notre misère, toute la grossièreté de notre barbarie ; par exemple de ne pas enseigner, comme cet autre, qu’en France « on attelle des femmes à la charrue en guise de bœufs et de chevaux[1]. » Et si parfois, chemin faisant, il lui arrive encore de s’égayer aux dépens de notre vanité nationale, il y réussit toujours si plaisamment qu’il faudrait avoir l’esprit bien mal fait et l’humeur bien atrabilaire pour ne pas en rire avec lui. Que dirons-nous de l’ingénieuse et vive image qu’il a trouvée pour tourner en ridicule notre prétention de guider au progrès la civilisation moderne ? « Les Français, écrit-il, se considèrent comme le balancier de l’horloge européenne ; » ô bonheur et ressouvenir joyeux de l’expression ! Il paraîtrait d’ailleurs que depuis quelque temps déjà les Allemands nous ont relevé de ce rôle aussi monotone qu’honorable. Le moyen de leur en vouloir ? Pourquoi seulement faut-il qu’ici commence à percer le bout de l’oreille germanique ? Pourquoi par exemple réduire toute notre valeur scientifique à quelques progrès accomplis dans le domaine des sciences exactes, et n’est-ce pas laisser soupçonner qu’on a les meilleures raisons du monde pour garder un silence prudent sur les physiciens, les chimistes, et je ne crois pas que ce soit aller trop loin de dire les naturalistes français ? Nous avons tant fait dans ce siècle pour la gloire de l’Allemagne ; ses savans, ses érudits, ses philosophes, ses poètes, nous les avons si généreusement vantés, qu’ils nous devraient bien quelque reconnaissance, et, le cas échéant, quelque réciprocité. De même, quand on a reproduit cette remarque d’un très fin connaisseur, « que, sur trois tableaux français il y avait

  1. Marcus Schlichting, Erd-und Völkerkunde, Leipzig 1874.