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c’est leur devise, et, comme chacun sait, de nulle part plus aisément que d’Allemagne on n’emporte sa patrie à la semelle de ses souliers. Les plus simples convenances de politesse internationale m’interdisent de reproduire ici les termes dont se sert un philosophe à la mode pour blâmer énergiquement chez ses compatriotes cette tendance au cosmopolitisme[1]. D’ailleurs quiconque a jamais éprouvé ce plaisir si vif d’entendre sonner sur la terre étrangère le son de la langue maternelle, ne voudra pas certainement chicaner le plaisir d’un géographe dont l’impeccable statistique, au fond de la Finlande, sur quelque 2 millions d’habitans a découvert 400 Allemands dans le gouvernement de Wiborg. Et s’il remarque ailleurs, dans une description détaillée de l’Autriche-Hongrie, que les 8 millions d’Allemands qu’on y compte ont été dans le passé, sont encore dans le présent, pour 6 millions de Magyars et 14 millions de Slaves, une vraie bénédiction, wahrer Segen, une rosée du ciel, ce serait étroitesse d’esprit que d’essayer de discuter le mot ou de contester la chose. En effet, si la supériorité des races germaniques est désormais, comme le proclament les oracles de l’ethnographie d’outre-Rhin, un fait acquis à la science, nous n’avons qu’à courber la tête, et il importe à notre dignité de faire taire la révolte de notre orgueil ; mais si c’est une illusion, comme nous osons nous flatter qu’il reste peut-être encore quelques raisons de le croire, qui ne jugera que nous savons trop ce qu’il en coûté aux peuples de s’endormir dans l’illusion de leur supériorité, pour nous soucier beaucoup de désabuser nos voisins ? Passons donc aux Allemands, sans compter, toutes les vertus qu’ils s’adjugent, et convenons que de la a profondeur du sentiment germanique, » découlent, comme d’une source intarissable, toute intelligence et toute probité :

Oui, vous êtes, mon frère, un docteur révéré,
Et le savoir du monde est chez vous retiré.

Oui, la bonne foi, bannie du reste de la terre, s’est réfugiée chez eux, dans les manifestes, du grand Frédéric, envahissant la Silésie pour la soustraire aux convoitises des ennemis de l’Autriche et l’annexer amicalement à la Prusse ; dans les discours de M. de Bismarck, se défendant d’avoir livré les Polonais aux Russes et protestant qu’il n’avait fait que « les expulser par la frontière russe. » Oui, les Allemands se sont constitué des vertus de famille un inaliénable apanage, un monopole de la chasteté : sera juvenum venus, eoque inexhaasla pubertas : pour les vieillards, c’est autre chose, depuis cet hercule saxon qui léguait à ses sujets trois cent soixante et quelques bâtards, jusqu’à ce patriarche bavarois, qui faillit mettre une couronne royale sur la tête de Lola

  1. E. de Hartmann, Gesammelte Sutdien und Aufsütze, 1876, p. 103.