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Commençons par accorder que, dans cet art secondaire et pourtant difficile encore, de résumer la science à l’usage du grand public, sans en déguiser la sévérité, sans en rabaisser la dignité, les Allemands sont passés maîtres. Leurs manuels, si l’on y faisait seulement circuler un peu d’air et qu’on en abrégeât les longueurs, donneraient l’idée de la perfection du genre ; nous gagnerions à les pratiquer. L’ouvrage de M. Hummel est donc bien conçu, bien disposé ; les proportions en sont bien prises, pour des proportions allemandes. La lecture en est toujours facile, agréable parfois. Les renseignemens de toute sorte y abondent, pressés, copieux, circonstanciés, empruntés aux meilleures sources, chacun en son lieu. Les notions de cosmographie, de physique terrestre, d’histoire naturelle générale, disséminées chez nous dans vingt livres spéciaux où c’est tout un travail que de les aller chercher, y prennent à loisir l’espace que nos ouvrages français leur mesurent si parcimonieusement. A combien d’enfans de nos écoles enseigne-t-on qu’en géographie botanique le châtaignier est l’essence caractéristique de la zone française ? Les notions d’ethnographie encore y ont un ample développement, et ce ne sont pas assurément les moins curieuses à relever, ni les moins instructives.

Que l’Allemagne et les Allemands occupent ici la place d’honneur[1] il n’est que naturel, et nous aurions mauvaise grâce de nous en étonner seulement. L’Allemagne avant tout et par-dessus tout. Deutschland vor Allem und über Alles in der Welt ! Nous sera-t-il permis au moins de demander si ce retentissant aveu de préférence, et si ce sacrifice de toute méthode à l’orgueil patriotique est bien conforme aux exigences de la rigueur scientifique ? Ce n’est pas l’ordinaire que nos livres de géographie ouvrent par la France une description du monde, ni même une description particulière de l’Europe. Qu’importe ! l’Allemagne a l’espace devant elle : de Dunkerque, en passant par Anvers, Amsterdam et Copenhague, jusqu’aux bords du Niémen, où le grenadier russe monte la garde, du Mont-Blanc jusqu’aux Carpathes, c’est la grande patrie germanique. L’Allemagne a le nombre : 87 millions d’enfans, qui vont de jour en jour croissant et multipliant, Germania a germinando, contre 83 millions de Slaves et 83 millions de Gréco-latins. Il est vrai que pour obtenir ce chiffre, il a fallu forcer d’environ 15 à 20 millions l’estimation habituelle de groupe germanique. L’Allemagne a la force, et comme le dit élégamment notre auteur : « Les Français qui avaient fondé leur politique sur la lenteur allemande, ont pu juger sur échantillon ce que pèse le poing de l’Allemagne. » Avec cela, s’il voit des Allemands partout, c’est qu’il y en a partout sans doute. Ubi enim sunt duo vel tres congregati, ibi sum inmedio eorum. Cosmopolite et prolifique,

  1. Le quart à peu près de l’ouvrage, non compris l’Autriche-Hongrie.