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roi, rien dans le serment qu’il a prêté, rien dans la constitution belge, qui puisse l’empêcher de souscrire sur-le-champ au traité du 15 octobre. » Stockmar fait valoir avec force l’autorité de ce langage. Lord Grey est un maître en casuistique constitutionnelle, et sur les questions d’honneur il est aussi scrupuleux que le roi lui-même ; c’est ce scrupuleux, c’est ce maître qui verrait dans l’abdication du roi des Belges le plus grand péril pour l’Europe, le plus fâcheux dommage pour le caractère et la situation du roi. Telle est l’argumentation qui triompha des défaillances momentanées de Léopold ; le roi accepta le traité du 15 octobre, si douloureux qu’il fût pour le pays, et le fit accepter au parlement belge en menaçant de dissoudre la chambre des représentans si elle le repoussait. Un appel aux électeurs, et, dans le cas où les électeurs eussent renvoyé la même majorité, l’abdication immédiate du roi, tel était le plan de Léopold. Cette crise de mort fut épargnée à la Belgique. Le 1er novembre, la chambre des représentans, par 59 voix contre 38, accepta le traité ; le surlendemain, le sénat confirma ce vote par 35 suffrages contre 8. C’était la ferme résolution de Stockmar qui avait produit ce résultat.

Je raisonne ici, comme je l’ai fait plus haut, dans l’hypothèse où ces révélations seraient de tout point conformes à la vérité. Avouerai-je pourtant le doute qui me harcelle ? Le témoignage de Stockmar me semble bien suspect. Plus j’y réfléchis et plus j’ai peine à croire que les choses se soient passées comme l’insinue sa correspondance. Où sont-elles, les lettres du roi Léopold qui auraient confié à Stockmar ses accès de découragement, ses projets d’abdication ? Stockmar cite avec raison toutes les missives qu’il a reçues du roi des Belges ; d’où vient que celles-là ne figurent pas dans ses papiers ? Elles lui seraient cependant plus honorables que toutes les autres. Si le baron s’abstient de les donner, c’est qu’elles n’existent point. Il a été au-devant des pensées qu’il attribuait à son maître, il a prêté au roi des sentimens que le roi a bien pu éprouver, mais qu’il a rejetés comme indignes de lui, sans attendre les exhortations de son conseiller. Sur une conjecture en l’air, Stockmar, emporté par son zèle, s’est persuadé que tout était perdu, s’il n’intervenait magistralement, et l’éditeur de Stockmar, trouvant dans ses dépêches la minute de ces remontrances, a été convaincu à son tour que Stockmar avait tout fait. Il y a fort à rabattre de ces prétentions. La défaillance d’une heure, chez un prince tel que le roi des Belges, ne devait pas fournir à Stockmar et à son éditeur l’occasion d’insister comme ils le font. Ce sont là des nuances, si l’on veut ; ces nuances du moins n’échapperont à aucun esprit élevé. M. de Stockmar assurément a été un serviteur très zélé, très