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particulière. Aujourd’hui ces classifications n’existent plus, A l’invention des cuirassés, les grandes puissances sont restées en possession de flottes considérables devenues du jour au lendemain parfaitement inutiles. L’Angleterre a, en ce moment, de quarante à cinquante vaisseaux en bois dont elle ne peut plus se servir ; une sorte de respect humain en a retardé jusqu’à présent la démolition. On avait proposé d’en conserver la coque à partir de la ligne de flottaison, de raser la partie supérieure et de la remplacer par des superstructures conçues dans le système des cuirassés ; mais l’amirauté n’a pas adopté cette proposition d’une économie trompeuse. La base eût manqué à l’édifice ; elle aurait mal supporté le sommet. L’expédient n’aurait pas amélioré les bâtimens et n’en aurait pas retardé beaucoup la réforme nécessaire. On les conserve donc dans les ports, comme de vieux chevaux qu’on laisse mourir à l’écurie par égard pour leurs services passés. C’est un capital de 80 à 100 millions à porter en « profits et pertes. » Par la même raison, le Sébastopol et le Pétropavlosk ne furent pas imités dans la marine renaissante de la Russie. Cette puissance possédait encore un certain nombre d’anciens vaisseaux mixtes en bois ; elle n’essaya pas de les transformer en navires blindés.

Restait à savoir si les nouvelles frégates cuirassées à construire seraient des bâtimens à batteries ou des navires à tourelles. Les navires à batteries ont une rangée de canons dans toute la longueur et de chaque côté. Les bâtimens à tourelles ont des réduits ou tourelles en fer, construites au centre du navire, au-dessus du pont, et portant des canons d’un très fort calibre. L’inconvénient des batteries est de ne pouvoir supporter des pièces d’artillerie d’un poids suffisant, d’avoir à présenter le flanc pour tirer des bordées, de ne point abriter les servans, trop exposés aux effets de boulets et d’obus pénétrant par les sabords. L’avantage des tourelles placées au centre est de pouvoir porter les pièces d’un poids énorme aujourd’hui nécessaires pour lancer des projectiles capables de percer les cuirasses. Les tourelles des navires tournent sur leur axe, et, sans nuire à la marche du navire, sans en modifier la direction ni les mouvemens, permettent de pointer les pièces partout où elles doivent porter ; elles offrent peu de prise à l’artillerie adverse, la surface arrondie laissant glisser les boulets, enfin elles abritent sous leur carapace les pièces et les artilleurs. Mais que d’essais, que de tâtonnemens pour en arriver là ! On construisit d’abord des tourelles fixes, une sorte de rempart cuirassé à ciel ouvert, où les canons étaient seuls mobiles. Vinrent ensuite les tourelles tournantes. Des bâtimens en ont une, d’autres deux, puis trois, quatre et même cinq, en comprenant un réduit central. Le premier navire à tourelle de l’Angleterre fut construit en 1866 ; on l’appela le