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ne voit de salut pour les Belges que dans le mariage de Léopold avec une de ses filles. Les hommages qu’il nous rend çà et là, c’est la force des choses qui les lui arrache, et, sentant qu’ils n’en ont que plus de prix, il se hâte de les effacer. Il a des insinuations perfides, des ingratitudes révoltantes. Esprit fin, âme aigrie, il voit juste et conclut à faux.

Comment de telles dépêches, venant d’un homme si profondément dévoué au roi Léopold, n’eussent-elles pas fini par troubler un peu cette ferme intelligence ? Certes, les affaires de Belgique, en cette grave année 1831, étaient singulièrement compliquées, et l’on vient de voir que la paix de l’Europe tenait à un fil. Une fausse démarche pouvait tout rompre. À force de dire au roi Léopold : courage ! ne faiblissez pas, ne perdez pas confiance dans votre cause ! à force de lui dire : les Anglais vous abandonnent, la France seule vous défendra, traitez-la toujours comme si elle était de bonne foi, — Stockmar ne devait-il pas ébranler ce courage qu’il invoquait ? Ce terrible ami, avec ses pavés tudesques, aurait mis en péril les têtes les plus solides. Je ne m’étonne donc pas que le roi Léopold ait conçu à cette date des pensées d’abdication. Stockmar, qui nous révèle le fait, nous permet d’en deviner les motifs. La cause de ce découragement, n’était-ce pas le langage même qu’il avait tenu, le rôle qu’il avait pris, rôle d’observateur hypocondre qui falsifiait la vérité par ses ténébreuses défiances ?

Le découragement du roi, s’il a existé en effet, devait prendre un caractère bien plus grave lorsque les dix-huit articles votés au mois de juin par la conférence de Londres furent remplacés le 15 octobre par les vingt-quatre articles qui enlevaient à la Belgique une partie du Limbourg et du Luxembourg. Cette fois du moins le motif était sérieux. Léopold n’avait accepté le trône que sur la base des dix-huit articles, et, en prêtant serment à la constitution, il avait juré de maintenir l’intégrité du territoire. Pouvait-il se soumettre à ce nouveau traité qui, trois mois après son avènement, démembrait le royaume ? Non, évidemment non. Il pensait que la conférence de Londres, en manquant à sa parole, lui avait rendu la sienne. Stockmar fut d’un autre avis. Il conjura son maître de céder, tout en protestant contre le procédé de la conférence. « Fâchez-vous, criez à l’injustice, ne ménagez pas la conférence — elle s’y attend d’ailleurs, — mais ne poussez rien à l’excès et gardez-vous d’abandonner jamais la partie. Que le ministère crie avec vous, qu’il crie très haut, très fort. Vous aurez tenu votre serment, et la Belgique le saura. Quant à renoncer au trône pour un échec, ce serait plus qu’une folie. » Et il lui cite l’opinion de lord Grey, si bon juge en fait de dignité politique, de correction parlementaire. « Je ne vois rien, disait lord Grey, dans la situation personnelle du