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autour de la frégate amirale, et revenir sur leur sillage et cela dans l’espace de temps le plus court possible. Le commandant en chef surveillait les mouvemens avec la sollicitude d’un bon professeur, et, selon les cas, faisait un signal de satisfaction, de satisfaction particulière ou de réprimande. Une batterie, le Pervenetz, ayant été trouée par un choc, le capitaine s’avisa, pour aveugler la voie d’eau, d’échouer son navire dans la vase. Cette manœuvre remplit de joie l’amiral. « Le commandant du Pervenetz s’est bravement tiré d’affaire, écrivait-il au ministre de la marine, nous pouvons être glorieux de cette affaire. » Il recommandait néanmoins, dans une autre occasion, où des monitors en contournant sa frégate avaient éprouvé des avaries, de prendre garde que des blindés de 1,500 tonneaux ne doivent pas être traités avec sans-façon comme de simples canonnières. Les réparations de celles-ci coûtent des centaines, les avaries des cuirassés des milliers de roubles. Le tir à la cible avait été jugé satisfaisant, l’évolution des tourelles était facile, les hommes de barre manœuvraient convenablement, les artilleurs comprenaient leur nouveau service à bord, mais l’amiral voyait surtout avec complaisance les joutes et les courses en canot. « Ce n’est pas un jeu, un délassement, disait-il, ce n’est pas comme un premier amour qui a survécu à son temps, un reste de prédilection pour la navigation à voiles, dans un milieu où règnent la vapeur et l’électricité. C’est un moyen de tremper ses nerfs, de rectifier son coup d’œil et de se préparer à toutes les éventualités du service. » En effet, les officiers se plaisaient à traverser sur ces embarcations la ligne de tir des monitors envoyant des boulets à la cible, et le respectable chef encourageait ces passe-temps dangereux en vue d’aguerrir les jeunes gens. Les généraux prussiens auraient sans doute méprisé ce jeu, où la vie des hommes était exposée sans résultat positif et pratique ; mais le marin russe, vrai loup de mer, leur rendait, sans les nommer, dédain pour dédain. « Université ? académie ? s’écriait-il. C’est peu. Au-dessus des universités et des académies, il n’y a plus d’écoles ! » Il entendait dire : Il y a le sang-froid, le coup d’œil et la résolution énergique. Les guerres sont soudaines, pensait-il, les batailles courtes. La victoire ou la défaite dépendent d’un moment. Il faut donc être toujours prêt à entrer en lutte, prêt à vaincre ou à sacrifier sa vie dans la demi-heure. Une manœuvre audacieuse réjouissait toujours le cœur de l’amiral, car c’était, à son avis, une sorte d’indice ou de promesse pour cette demi-heure.

Le prince Constantin, général-amiral, fit visite à l’escadre, et elle vint à sa rencontre. L’amiral Farragut vint aussi et ce fut un grand événement. Le citoyen amiral des États-Unis reçut des ovations de